David Servan-Schreiber : « On peut se dire au revoir »… si jamais…

Tous voués au sinistre cancer, alors?

On pourrait le craindre, quand on apprend que David Servan-Schreiber, malgré sa vaillance et son long combat (19 ans!) est à nouveau menacé par cette bête immonde qui a élu domicile dans son cerveau. Génial, ce cerveau, promis dès le plus jeune âge au plus billant avenir par son papa, Jean-Jacques (JJSS, que ses amis surnommaient le Kennedy français).

Nous partions ce jeudi 16 juin pour trois jours dans notre île, fatigués par un long, long week-end un peu trop gastronomique, suivi de deux jours de réunionite aiguë. Notre brave Husky nous permet de telles absences sans nous en tenir la moindre rigueur au retour si, en bon chef de meute, je lui ramène bien la viande promise. En route, une halte de réapprovisionnement en lectures à Saintes, où je repère ce petit livre dont le titre effraie d’emblée et rassure tout de même un peu. On se dit que la longue lutte que l’on sait n’est pas finie, que l’immense courage face à la « camarde » que chantait Brassens, ne fera jamais défaut :

Et dès la première page, quelle émotion :

« C’était le 16 juin de l’année dernière… »  – Un an jour pour jour, donc, en ce 16 juin 2011. – « … J’avais passé une IRM, et le résultat n’était pas brillant. Les résultats montraient une boule gigantesque, tout infiltrée de vaisseaux, qui remplissait dans mon lobe frontal droit la cavité creusée par les deux opérations que j’avais subies bien des années auparavant. »

L’acharnement du malheur donc, le retour de la mort qui retrousse les dents et menace à nouveau. Alors qu’on croyait bien l’avoir jugulée. À force de volonté, d’intelligence, de courage, de vouloir survivre, vivre encore. Non pas égoïstement, mais pour mieux partager avec nous tous cette expérience exceptionnelle, d’une longue lutte avec au bout la victoire espérée, entrevue, que l’on a toujours crue possible, en laquelle on croit encore, malgré deux rechutes et deux très lourdes interventions.

David Servan-Schreiber, j’ai pour lui, nous avons tous pour lui, et plus que jamais, beaucoup de tendresse et de reconnaissance. Pour tout ce qu’il nous a enseigné. Tous ces savoirs, ces compétences d’un savant, et peut-être surtout ces attitudes modelées par un courage indomptable et une grande dignité, celle de l’homme qui, à sa façon, triomphe toujours de la mort qui le guette – c’est sa vocation, et le  cancer est un de  ses plus dévoués et sinistre auxiliaires – Même si elle finit par l’emporter.

Et David, face à ce Goliath tout puissant, ne se voile pas la face. Même s’il ferme les yeux et refuse de voir les images de ce qui se révèle être, non un œdème, mais « une méchante tumeur ». Il ne veut pas voir, mais « tout savoir… » (de ce regard scrutateur de l’intelligence) « … sur elle pour pouvoir me défendre au mieux ».

Cette réplique, cette nouvelle terrible secousse, c’est peut-être « the Big One » redouté des californiens. Eh bien non! il ne sera pas dit que « Celle-là, je n’y arriverai pas ». David convient qu’il y a là « du déni », mais affirme que ce déni est positif, salutaire : « Toute ma réflexion me conduit à penser que ce qui « aide à vivre » aide en fait la puissance de vie inhérente à tout organisme vivant. Et, inversement, tout ce qui ronge l’envie de vivre diminue nos capacités de guérison. »
« Pour être tout à fait honnête, une partie de moi s’était mise à croire – en douce – que ça ne reviendrait pas. Mais la partie la plus raisonnable n’avait jamais cessé de se dire : « Ça reviendra. » Et elle ajoutait : « Quand ça reviendra, on gérera. » Et c’est ce que j’ai fait… »
…Après le test « du vélo » qu’il raconte joliment en pp 12 et 13…

Et David, se bat, vaillamment. Épuisé, il participe pourtant au Mans à une conférence internationale sur.. la fatigue. Surmoi, quand tu nous tiens, …tu nous surmontes bien… Il va subir à Cologne, où il est coincé par l’urgence, une Nième intervention au cerveau. Très entouré – son épouse enceinte, ses quatre frères, une vingtaine de cousins, une foule d’amis -, il étonne par son courage : « J’ai tout de suite su, sans l’ombre d’un doute, que j’allais faire ce qu’il fallait ». Et il proteste : « Ce n’est pas de l’héroïsme de ma part. Je pense que le découragement s’installe quand la souffrance dure trop longtemps. Ou les nausées, l’invalidité, l’humiliation – qui sont toutes des formes de souffrance. J’ai réussi jusqu’à ce jour à les éviter en grande partie. J’espère que cela durera. »

L’anesthésie l’effrayait, par la crainte de ne pas se retrouver. Sitôt réveillé, il fait sur son drap « des gammes » de sa main gauche « pour vérifier qu’on ne m’avait pas enlevé trop de choses importantes dans mon lobe droit. Quand ma main avait obéi, j’avais éprouvé un énorme soulagement. »

À Louvain, on lui concocte un vaccin original, très innovant : On dérive la circulation sanguine du patient, sépare les globules blancs des rouges avec une centrifugeuse. Puis on confronte ces globules blancs avec l’ennemi, la tumeur qu’on avait mise de côté. Très vite, ils sont sensibilisés à ce danger, et une fois de retour dans l’organisme, ces vaillants marins vont se jeter, pleins d’une force acquise, sur la moindre cellule cancéreuse qui rappelle le combat mené hors des vaisseaux. Ça marche (20% de réussite complète), foi de Pittsburg – et de Louvain, une fois – sauf que cette fois, la nouvelle tumeur, (en dépit – ou à cause) de l’implantation de billes radioactives dans le vide laissé par l’ablation et chargées des finitions délicates en cas de malencontreux oublis, cette tumeur était une mutante. C’est d’ailleurs ce danger de mutation que l’on craint quand on tente de trouver un vaccin contre le sida et qu’on en titille le virus pour l’affaiblir et le rendre vulnérable aux défenses naturelles de l’organisme.

Il va donc falloir, dès la seconde IRM de contrôle, une nouvelle opération ! Et on prépare un autre vaccin ! Et on a toujours, malgré la peur lucide, un énorme courage. David  est dans l’année de ses 50 ans. Cela fait presque 20 ans qu’il se bat et tient à distance la mort qui menace encore et encore.
Et comme tous les survivants ( il en est, puisque la survie, dans 98% des cancers de ce type, ne dépasse pas 6 ans!), sa maladie l’a oublié parce qu’il s’est oublié et qu’il s’est consacré aux autres, à la prévention du cancer par une alimentation et un style de vie appropriés.

« Guérir » et  « Anticancer » sont ses ouvrages précieux qui racontent l’expérience douloureusement acquise par David Servan-Schreiber et sa compétence dans le domaine de l’alimentation.

Tenez, lisez ici https://toutpetits.wordpress.com/2008/10/06/4-manger-dr-serge-renaud-david-servan-screiber-dr-beliveau/
et là encore : https://toutpetits.wordpress.com/2008/10/07/la-soupe-anti-cancer-du-pr-richard-beliveau-et-le-choeur-des-souris-quasi-gueries/

Vous retrouverez dans ces articles deux autres « grands » de ce combat farouche contre le cancer, le Pr  Belliveau et le Dr Gingras. Je reprends, – je me cite :

« Quelques-unes des découvertes essentielles de ces trois chercheurs :
« – Nous sommes tous potentiellement cancéreux (à 98% révèlent les biopsies d’organes sains)
 : dès l’enfance, sans doute dès la naissance, nous avons en nous des germes, des « graines » de cancer, des cellules qui pourront se différencier et se mettre à se multiplier de façon anarchique, illimitée, des cellules immortelles, qui refusent de mourir, ne savent pas mourir comme les braves cellules « normales » qui par leur sacrifice et leur renouvellement « normal » assurent croissance et vie – « si le grain ne meurt » – , et qui toutes restent là, squattent et encombrent de plus en plus, et du coup, torturent en lésant les terminaisons nerveuses, et telles des affamées sans vergogne vont coloniser des zones saines de l’organisme et finir par détruire le corps (animal et même végétal) qu’elles parasitent »

David Servan-Schreiber pense lui aussi qu’un des secrets de la future victoire réside dans l’alimentation en particulier, et plus généralement dans la « gestion » de nos organismes, de nos défenses, de nos vies.
D’ailleurs ce langage de gestionnaire c’est celui qu’il emploie quand il a la certitude de sa rechute : « Je me suis mis presque immédiatement en mode gestion »
Et il affirme catégoriquement « Anticancer » n’a rien perdu de sa validité ».

Mais je pense que le bébé qu’attend sa femme Gwenaëlle est pour beaucoup, aussi, dans ce farouche désir de vivre.
« J’ai décidé de ne pas aller en maison de repos pour ma convalescence. Ma femme était sur le point d’accoucher et je tenais absolument à être présent pour la naissance de ma fille Anna . Cette magnifique aventure, je voulais en être. »

(À suivre)

Passeur : passion plus que métier

Passeur, passion: une idée de mouvement

Le passeur « transporte », « exporte » ses savoirs, ses compétences
Il en est le détenteur : ses savoirs, sa culture, ses sensibilités, ses facultés d’appréciation, tout cela est en lui.
Il faut vouloir transmettre, mais cette seule volonté, l’intention ne suffisent pas.

La passion doit « transporter », enthousiasmer, le [bon] passeur
Le passeur (de métier, de savoir-faire, de culture) ne peut pas rester froid, simple technicien.
C’est toujours un peu de lui-même, le meilleur qu’il essaie de transmettre, par son métier, par son choix d’élèves, de « disciples », qu’il estime dignes, capables de mettre en œuvre les compétences transmises, de faire apprécier, pour les faire siennes ensuite les passions, les « valeurs » du maître.

Cette transmission  implique donc une « mobilisation générale »  : mouvement de l’esprit, mais aussi mouvement du cœur. Tout sauf l’indifférence, la froideur.

Car ces échanges génèrent une attraction, un attachement réciproques :
L’élève, le jeune, l’apprenti, aiment, estiment ce médiateur qui les initie.

Le médiateur aime le disciple qui réussit, qui intègre bien ce qu’il lui passe, car c’est un peu sa façon de survivre, de faire vivre ce à quoi il croit.

Celui qui enseigne se projette et se reconnaît dans le disciple bien formé.
Son rêve se réalise: avoir formé de futurs formateurs possibles. Car cet héritage, ce don d’une culture, de savoir faire, l’héritier, le nouveau détenteur ne pourra faire autrement que de les transmettre à son tour à ses enfants, à son entourage par le témoignage même de sa vie de tous les jours.

Transmettre et recevoir à son insu.
Il est impossible de ne pas transmettre. On transmet malgré soi. On est toujours « contagieux », « magnétique » (voir « les bons aimants »).
On laisse toujours échapper des bribes de soi, transparaître le tissu de son moi.
Ce qu’on a reçu des autres, le bon comme le mauvais, tout cet héritage a peu à peu tissé la trame (sa solidité) et l’interface (l’originalité, le charme social) de notre personnalité.

Il est encore plus difficile d’échapper à la transmission, à cette [bonne] « maladie » de la culture, aux virus des envies et des besoins de « savoir aussi », de « savoir faire comme ».

Il est possible, mais très difficile d’échapper à la prégnance d’une culture, d’une éducation dirigiste, programmée avec des intentions, des arrière-pensées.

Il faut savoir flairer, s’indigner, dénoncer :

C’est alors une formation au second degré, un nouvel apprentissage quand on est déjà formé et cultivé. C’est un luxe: la formation à la liberté de pensée, au libre arbitre.
On a reçu de ses propres formateurs les outils de la clairvoyance de l’esprit et du cœur.
il faut alors quand on est l’heureux héritier d’un si précieux bagage savoir à son tour le promouvoir, le défendre s’il est contesté, menacé.

S’indigner ne suffit pas comme le précise fort bien Stéphane Hessel
Il faut aussi, si nécessaire savoir se faire le soldat de ces causes qui sont universellement reconnues.
Il faut savoir se faire guerrier quand la séduction, la démonstration, l’exemplarité  empêchées ne suffisent pas, quand les bons aimants sont démagnétisés, débranchés, confisqués par des aimants nocifs aux ondes corruptrices.

Le passeur sait être inégalitaire: La même transmission pour tous et c’est la certitude d’une inégalité accrue.
Tous entreront en sixième, tout le monde peut tenter de sauter 1m50 : les mêmes « barres » pour tous et toutes. « Allez! allez! et que ça saute! » Et on appelle cela de la non discrimination, on prétend ainsi donner une chance à tous !…
Le même « traitement » pour tous installe très vite la mésestime de soi et l’échec, fait de résignations et de renoncements.
L’échec est un juge sans pitié qui condamne souvent à perpétuité :
Leur vie durant, les petits échaudés de l’échec sont devenus comme allergiques aux apprentissages.

C’est dans les tout débuts de la vie que ce « passage » – comme la croissance – est le plus intense.
Ce n’est plus une transmission délibérée, intentionnelle : c’est une véritable osmose. Le bébé et le tout petit sont malgré eux dans un bain culturel, et les parents et l’entourage immédiat ne peuvent souvent guère changer les « sels » du bain culturel dans lequel ils plongent leur enfant.
Le bébé, le tout petit « boivent » par tous leurs pores les styles des vies qui les entourent en permanence, qui les baignent et les pénètrent de toutes part.

On peut dire qu’il y a comme une « mémoire de l’eau » de ces bains culturels.
On n’échappe pas à ce qui vous imprègne de toutes parts.
Côté passeur, on ne peut retenir ces « injections » permanentes, cette pression forte et douce à la fois qui émane de soi, qui baigne de toutes parts et qui imprègne et pénètre.

On a donc une énorme responsabilité quand on est parent, formateur, responsable de tout jeunes enfants.

La responsabilité est encore plus grande quand on est responsable social, politique, qu’on détient un pouvoir de choix et de transmission ou de rétention de la « culture ».

Le laisser faire est criminel. Il prépare les futures inadaptations, les futures dépendances et dominations.

Car les puissants, les « riches » savent. Ils connaissent ces « lois » des bons passages.
Ils savent l’importance du « climat » dans lequel se fait la relation formatrice.

Les pauvres, les miséreux sont comme des animaux.
Ils sont obligés de vivre dans un état de vigilance permanente, de parer à chaque instant au plus pressé. Ils sont en état d’insécurité affective, le corps aux aguets, l’esprit préoccupé par d’incessantes inquiétudes qui harcèlent et tourmentent : ces mille petites choses de l’instant d’après, du lendemain pour eux imprévisible : le gîte, la nourriture, le travail, le plaisir, aimer, être aimé…, tous ces ingrédients d’une vie acceptable.
La culture est un magnétisme, et cette énergie, ce « courant » ne passent pas dans des atmosphères polluées par l’insécurité et les urgences.

L’école pourrait être un lieu de quiétude, une plage tranquille dans le temps mauvais.
Mais le « climat » s’est si considérablement dégradé en quelques décennies que l’école elle-même, l’atelier, l’entreprise…, ont été envahis par les tensions et les soucis du dehors.
À l’école aussi, il y a maintenant des dangers, des insécurités, des angoisses. Il faut être fort pour capter les messages, mais aussi pour les envoyer : Combien de ces professeurs, de ces passeurs se désespèrent de constater leur inefficience de maintenant avec des élèves pour qui il faudrait de longues plages tranquilles pour apprendre à s’intéresser à ce que montre le doigt qui sait, plutôt qu’au doigt lui-même, aux idées plutôt qu’aux incidents, aux permanences plutôt qu’aux aléas.
Le libéralisme si mal nommé, qui n’a de liberté que celle de la jungle où règne le plus fort, génère ces climats pourris de tensions et de violences. Les passeurs à la mode n’ont plus à passer – à leurs comparses – que des trucs, des astuces, des combines pour mieux manger l’autre et ne pas être mangé.
Pauvres enseignants rêveurs, doux utopistes qui croient encore en ces valeurs humanistes qui les ont façonnés, quelle révolte faudrait-il en chacun et ensemble pour que nos sociétés se ressaisissent, pour que nous ne soyons pas un jour paumés, déboussolés, comme « un singe en hiver », ou bien désemparés comme ces tristes macaques transis du Nord du Japon qui grelottent dans l’impensable paradis des sources volcaniques au milieu d’une nature hostile ?

Image empruntée à http://educ.csmv.qc.ca/mgrparent/vieanimale/mam/macaque/macaque.htm


Mais peut-être notre « sagesse » – notre confort – serait-ce, à l’exemple de ces trois autres singes, de ne rien entendre, de ne rien voir, de ne rien dire de ce qui pourrait indigner ?

Cela pourrait être une allégorie du bon citoyen idéal, bien anesthésié, bien insensible, une représentation de l’autisme individuel refuge pour survivre dans une société devenue folle, une société de sourds-muets, aveugles de surcroît.

Sculpture de Hidari Jingoro au sanctuaire Tōshōgū à Nikkō (Japon)
Image empruntée à Wikipedia (http://fr.wikipedia.org/wiki/Singes_de_la_sagesse)

Délitements et résiliences

Des processus évolutifs qui débutent dès la toute petite enfance.

La résilience  est devenue célèbre et elle est souvent vue à son terme, par son côté spectaculaire : quelqu’un que l’on croyait anéanti, perdu, sort de sa régression, revit. C’est ce côté miraculeux, improbable, qui frappe et qu’on retient.

Mais ce miracle, cette soudaine puissance sont l’aboutissement d’une longue épargne.
Dès l’enfance, sou à sou, nous thésaurisons les pièces jaunes de notre éventuelle résilience. Et cette résilience, cette énergie s’accumule discrètement. On n’a jamais une soudaine et importante dotation de résilience . On ne peut pas faire d’emprunt urgent dans ce domaine.

La résilience est un capital inestimable. c’est en quelque sorte une énergie, une réserve de forces psychiques et qui, pense-t-on, « ne s’use que si l’on s’en sert ».

Pourtant, cette résilience capitalisée un certain temps peut se déliter sous la pression des temps mauvais de la vie. Pas forcément une catastrophe, une « Xynthia » affective, psycho-sociale, financière,  mais une accumulation de petites intempéries.
« La désilience » : Comme la résilience qui se construit par petites touches, se maille peu à peu, la « désilience » (j’invente ce concept comme l’inverse du processus de construction des forces résilientes) procède de façon insidieuse, et elle aussi dès la petite enfance.

Ainsi on peut gagner en résilience le temps de vacances heureuses chez un oncle, une tante et des cousins structurants et gratifiants. Mais aussi, on peut perdre en résilience à certaines périodes de la vie familiale, de la vie scolaire, de la vie amoureuse, de la vie sociale. La société actuelle inflige souvent de rudes coups de boutoir à notre capital de  résilience potentielle, qui se gaspille fâcheusement.
La crise n’est pas que financière, elle est morale, psychique, et ruine bien des résistances, anéantit des trésors de résiliences lentement constituées au long des périodes de vie « normales ». Et dans le contexte actuel de tensions, d’agressivité exacerbée, le harcèlement au travail est tel, la perte de sens en est si flagrante, qu’il conduit à des suicides navrants d’adultes sains qu’on savait pourtant solides jusqu’à il y a quelques années. Et ceux qui encaissent, ceux qui tiennent le coup, sont tout de même bien fragilisés.

La résilience ne peut s’apprécier qu’à l’aune des difficultés, voire du malheur.
On ne peut jamais faire le bilan exact de son « compte en résilience ». On peut tout de même s’en faire une idée : en imaginant comment on se comporterait en cas de grosse difficulté, de grand malheur soudain.

Ainsi quelle sera mon attitude face aux inévitables épreuves physique de la vie.
Face à la maladie ?  À la déchéance physique consécutive à un accident ? Comment vais-je assumer le vieillissement ? La mort inéluctable ? La mort promise, bien plus tôt qu’il n’est raisonnable, par un cancer ? Serai-je tenté d’en finir au plus vite quand je penserai que tout est joué ?

La vie quand même, la vie diminuée, la vie étiolée, la vie sous le signe de l’échec et de la frustration a-t-elle encore un sens ?
Ces questions de la poursuite de la lutte pour la vie, la survie,  ou du renoncement, sont les mêmes qui se posent lors de chaque difficulté qui se présente, encore plus s’il y a échec : dois-je persévérer ? Continuer? Recommencer?
« Il n’est pas besoin d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer », dit-on.
Encore faut-il que la persévérance ait été encouragée, que des réussites dosées, calculées généreusement aient été ménagées aux temps des jeux, de l’école, des apprentissages…
Chaque difficulté, chaque échec est une épreuve infligée à la solidité de notre personnalité, de notre moi.
À chaque coup dur (réel, ou simplement d’amour propre) on peut avoir des raisons de douter de soi, on peut sentir se flétrir l’image qu’on s’était patiemment faite de soi.

La capitalisation résiliente est faite d’une multitude de petites victoires qui s’enchaînent, qui se sédimentent et qui cimentent l’estime de soi.
Je suis content simplement, parfois je suis vraiment fier de moi, de ma vie. Alors, si cette vie est soudain menacée, tous ces témoins d’une qualité, d’une excellence parfois, vont accourir et prouver qu’une telle vie vaut la peine d’être poursuivie, que l’effort repris ne sera pas vain.
Il y a peu à peu une habitude à la réussite et aux satisfactions d’estime qu’elle génère, et donc une habitude à la persévérance dans l’effort pour la réussite.

Cette mise en place et cet entretien, cette surveillance de la qualité du filet des futures résilience, commence dès la naissance.
Ce tout petit qui ne parle pas encore, vous voyez bien, vous sentez bien qu’il réagit à la souffrance comme au plaisir, à ses petites et grandes réussites comme à ses petits et grands échecs.

Ainsi la première grande victoire, toute inconsciente, est de réussir à ramper sur le ventre de maman et à se tourner comme il faut pour saisir à pleine bouche et à tâtons un téton si tentant…
Le bonheur sensoriel du tout petit au temps des premiers attachements, le plaisir des désirs possibles, parce que permis et assouvis, plus tard la satisfaction plus consciente d’une vraie réussite personnelle qui vaut la peine de persévérer dans un effort qui tient ses promesses, voilà quelques-uns des matériaux qui font les personnalités solides, donc les éventuels recours aux réserves d’énergie résiliente qui étonnent toujours quand elles se manifestent.
Cette résilience va de pair avec une bonne santé psychique, elle témoigne toujours d’un vécu heureux et suffisamment permissif dans la petite enfance, mais juste suffisamment répressif.

Je suis persuadé que la résilience possible fonctionne à la manière d’un vaccin : elle rend immuno-résistant aux coups durs de la vie.
Ainsi, on sait bien qu’un un tout petit s’immunise et renforce ses immunités en n’étant pas toujours maintenu dans un milieu aseptisé, dépoussiéré, comme dans une bulle. Les petits enfants qui ont vécu au contact d’animaux familiers sont moins allergiques aux poils des bêtes. Les menues frustrations de la vie quotidienne d’un tout petit, les délais, les absences, les bobos du corps et de l’âme, toutes ces petites douleurs inévitables, si elles ne sont pas trop intenses, ni trop fréquentes, ni surtout préméditées, renforcent l’aptitude à éventuellement mieux résister à des épreuves plus sévères.

Peu à peu, il va vous falloir apprendre au tout petit la frustration souvent impossible à éviter, lui apprendre à différer une satisfaction.
Et d’abord la séparation, les coupures dans la fusion : maman ne peut pas être toujours là. Mais maman va revenir, et effectivement, elle revient : c’est déjà une mini résilience, la restauration d’un état de quiétude antérieur. Ce n’est pas une catastrophe, c’est un tout au plus un petit drame, un gros chagrin. Et quand cela se renouvellera, peu à peu va s’installer l’habitude d’une alternance mémorisée dans le vécu. Après la pluie le beau temps, après les larmes la sécurité retrouvée. Ainsi une petite douleur, un petit échec sont des promesses de plaisir, de réussite à venir. Si la douleur, l’échec, ne sont pas trop traumatisants, la persévérance prendra le pas sur l’éventuel désespérance, sur la tendance au renoncement, pire, au masochisme.

Ainsi une petite enfance heureuse, respectée, objet d’une attention généreuse, prépare à une enfance et à une scolarité réussies.
La socialisation diversifiée et consolidée par la famille élargie, par l’école, par l’intégration professionnelle, par l’amitié et l’amour, apporte un étayage renforcé à cette première construction résiliente commencée dès la naissance et sans doute déjà dans le désir qu’ont eu les parents de cet enfant, de son bonheur et de ses réussites à venir.

On le voit bien, cette élaboration d’une résilience qui puisse se révéler performante, est tout de même affaire de chance. Comme l’intelligence, elle n’est pas donnée d’emblée.
Ces graines-là ont besoin d’un terreau relationnel fertile, d’un climat serein. Les mamans dans la relation fusionnelle des tout premiers mois font très exactement ce qu’il faut en se retirant un peu du monde, juste ce qu’il faut pour assurer à leur tout petit la quasi exclusivité de leur amour, de leur vigilance. Comme dit Winnicott, elles savent être « suffisamment bonnes » pour lui… et rester suffisamment disponibles pour les autres et pour la vie autour.
Encore faut-il que la société leur laisse cette liberté.
Il est désolant de voir à quel point on néglige ces évidences.


Mots solidaires

Cimetière des mots solitaires : la liste alphabétique, sans titre ni commentaires, sans mise en relation aucune des éléments de la liste, sinon leur seule juxtaposition, leur rangement conventionnel par ordre [de mérite] alphabétique.
Cité des mots solidaires : le dictionnaire analogique,
qui tisse un réseau dense de liens de sens entre les mots qu’il contient.

Les mots ne sont jamais seuls. Seuls, ils meurent.

La solitude du mot, c’est la liste sèche, sans le moindre commentaire, le dictionnaire pauvre qui ne donne pour un mot que son équivalent dans une autre langue. Remarquons toutefois que les hiéroglyphes de Champollion, isolés, n’ont pratiquement aucun sens. Le dictionnaire qui les traduit leur donne sens et vie, dans notre langue. (C’est une merveille, que l’on doit au site lexilogos.com : le 2ème onglet à gauche affiche la table des matières – tous les thèmes y figurent, c’est dire la richesse de ce langage, de cette culture égyptienne) La vraie vie leur vient de la clé, du code caché que recélaient ces idéogrammes. Régalez-vous, dessinez, faites dessiner vos enfants… Voyez ici aussi et ici encore, toujours via Gallica et Lexilogos.

Un mot isolé recherche désespérément des liens qui vont lui donner vie et sens, comme autant de mains tendues.
Ainsi quand un tout petit prononce mal un mot (ou une suite de mots) et qu’on ne le comprend pas, il est dans cette attente, parfois anxieuse, d’un signe de notre compréhension
.
Il nous faut alors avoir la générosité de lui tendre des perches, de lui suggérer des hypothèses de sens, de le questionner (simplement en commentant positivement) :
« Ah oui, c’est très intéressant, mais tu vois maman ne comprend pas bien, aide-moi, dis-le encore», pour qu’il précise par des gestes, d’autres mots ce qu’il a voulu exprimer.
Seul intérêt d’une liste, son intitulé. S’il n’y a pas d’intitulé, de titre à une liste, le rechercher peut être un jeu, un exercice passionnant et très formateur.
Car il s’agit de structurer, d’ordonner le réel.
Le titre d’une liste c’est un des dénominateurs communs à chacun des mots qui la constituent : alors surgit un sens nouveau qui englobe tous les mots contenus, un sens nouveau, tout un éclairage qui enrichit considérablement les sens particuliers des. Le titre, l’intitulé d’une classe est un conteneur, une simple boîte, mais riche d’une signification qui éloigne des détails foisonnants qui accaparent et dispersent toujours trop l’attention et l’intelligence qui structure et unifie des éléments apparemment disparates.
La liste n’a en fait d’intérêt que comme aide-mémoire ou si elle est insérée dans une classification logique.
Bientôt nous ferons des jeux de listes, concrètes, vécues, et nous nous essaierons à des jeux, des débuts de classifications

Trois mouvements possibles au sein d’une classification :

Vers le haut, vers un titre englobant, vers un conteneur, vers un dénominateur commun.
Remarquez que dans dénominateur, il y a dénommer, donner un nom.
On peut monter de titre en titre
.
À chaque ascension, on s’éloigne des détails qui permettent de différencier chaque constituant d’une liste, on accède à un mot-conteneur suffisamment général, abstrait, qui convient alors à chacun des éléments de la liste.
On fait abstraction de détails superflus pour découvrir par cet emboîtement une ou plusieurs propriétés communes qui suffisent à ce qu’on ne les confonde pas avec d’autres éléments de ce niveau déjà supérieur.

Vers le bas, vers une série de classes aux contenus plus précis, plus analytiques

Latéralement, vers des classes dont les éléments sont à des niveaux équivalents d’abstraction (si on pense aux propriétés générales), d’analyse (si on pense aux détails spécifiques)

Il est plus facile de descendre vers plus de détails par une analyse plus fouillée, plus méticuleuse, à la limite maniaque, que de s’élever vers des concepts de plus en plus abstraits, synthétiques, – et néanmoins fidèles à leurs constituants.

Une classification c’est un empilement de conteneurs, un emboîtement de classes, de catégories. C’est enfermer un réel complexe et extrêmement divers dans un réseau aux mailles plus ou moins serrées, selon que l’on s’intéresse plutôt aux détails qui font les différences ou plutôt aux propriétés générales qui caractérisent à grands traits.

Une classe c’est donc un ensemble d’éléments qui ont des qualités, des propriétés, des caractéristiques communes. Savoir les percevoir, les repérer au milieu des détails foisonnants est une preuve d’intelligence, d’aptitude à l’abstraction.

Les mots sont comme les cellules d’organismes complexes, mais vivants.
Avec des mots isolés, on ne peut procéder qu’à des greffes, des ajouts, des affinements ou des substitutions, sur un « corps », un « organe », un « tissu » déjà constitué
Les mots-cellules eux-mêmes ont des constituants internes (des sous-ensembles de lettres et signes abstraits), comme un génome qui est un peu leur potentiel de créativité dans le domaine de la pensée.
Les mots ont un lointain passé, une histoire qui remonte aux origines de leur création, de leur invention, et qui témoigne des besoins d’expression d’alors
Cette sorte de traçabilité génétique des mots, les linguistes la traquent et la trouvent dans ce qu’ils appellent la racine, le radical : ces termes disent bien qu’un mot, c’est quelque chose qui a une vie, qui peut croître, se développer, et, comme une plante saine et vivace, avoir des pousses, (des suffixes, des préfixes, des dérivés…, des descendants donc), pour peu que le terrain culturel et relationnel soit favorable.

Montrez à vos enfants, à vos tout petits même, cette vie relationnelle des mots que génèrent nos pensées. Qu’ils sentent bien qu’un mot isolé, privé de contexte partagé, vécu en commun, n’est rien, mais qu’un mot est une source infinie de joies, le point de départ d’une foule de voyages, d’explorations et de découvertes, de véritables aventures affectives et intellectuelles.
Très bientôt, nous allons, ensemble et avec eux, jouer avec les mots et leurs multiples échos.

Vœux de « Toutpetits » pour 2010

En cette veille de 2010, on a hélas l’embarras du choix pour offrir des vœux à ceux qui nous sont chers, des vœux pour espérer qu’ils aillent vers le mieux, vers le meilleur, tout simplement vers le bon, vers le moins mauvais, vers un peu de bien, un peu de bien-être, un peu de mieux-être. « Encore un peu de |bon] temps Monsieur le bourreau. »
Déjà, fin 2008, je vous souhaitais « une année nouvelle et un avenir qui vous soient souriants malgré l’affreuse conjoncture ». Il est évident, que malgré leur sincérité, beaucoup de nos vœux ont été déjoués par la crise qui s’annonçait. Ça n’a pas marché. Ça a même été la catastrophe pour beaucoup…
Et maintenant, on est en plein dedans, et pourtant, il semble bien que nous ne sommes pas en France parmi les plus atteints.

Il n’empêche, à moins de fermer volontairement les yeux, on voit bien, on sent bien, que la misère, le malheur gagnent, progressent et frappent de plus en plus de nos proches, de nos voisins.

Il nous faudrait des statistiques locales de la souffrance, des besoins, de tous ceux qui auraient tant besoin de bon vœux bien ciblés, bien adaptés à leur difficultés, à leurs craintes.
Il nous faudrait une sorte de scanner mental, affectif, qui nous permette de sentir, de deviner les détresses, les peurs masquées qui passent dans la rue, dans une des allées de la foire…, sous nos yeux.
Mais ce serait trop facile. Il nous faut faire l’effort d’empathie, apprendre à lire dans le comportement de l’autre, des indices de misère, de non quiétude, d’in-tranquillité .
Cette souffrance parfois si pudique, si honteuse, qu’elle se cache derrière d’apparentes désinvoltures, qu’elle en devient illisible comme de nouvelles hiéroglyphes qui espèrent en chacun de nous touver leurs Champolion-Hirsch, il nous faut apprendre à mieux la lire, mieux la deviner, mieux la déchiffrer comme un message codé. Et il n’y a pas de code unique.

Pourtant, maintenant, les détresses, si soudaines, si imprévues, si nombreuses, souvent cumulées, ne peuvent retenir leurs « cris ». On les voit, on les entend, elles osent s’afficher, revendiquer, manifester leur indignation, leur colère. Elles sont maintenant si nombreuses.
C’est cela  sans doute qui menace les puissants sans scrupules : être allés trop loin, trop fort dans le pressurage des humbles sans défenses, maintenant des classes moyennes, des retraités, dans la réduction lamentable des droits à la santé, à une vraie égalité, dans l’accès à de vrais services publics qu’il va falloir aller payer loin, bien loin de chez soi…

Des vœux donc d’une meilleure aptitude au dévouement, à la clairvoyance, à la solidarité.

Nous-mêmes, qui que nous soyons, ne pouvons pas nous dire à l’abri d’un soudain caprice du destin.
C’est cela la vraie pandémie mondiale dont nos gouvernants devraient se préoccuper.
Plutôt que de nous occuper l’esprit avec leur H1N1, ils seraient mieux inspirés de consacrer toute leur énergie, toutes leurs compétences à tenter de résoudre les difficultés des Français dans leur vie de chaque jour.
Oui, il va falloir tenir, tenir bon, survivre pour beaucoup, au jour le jour de cet avenir menacé. Entrer en résistance. Pas seulement pour soi, mais pour les autres surtout.

Et on ne tiendra, on ne résistera que si on est, si on apprend à être solidaire, si on s’enrôle dans ces groupes de résistants à l’invasion du malheur.
En d’autres temps d’un malheur totalitaire infiniment plus grave, ceux qui survivaient le mieux dans les camps de prisonniers ou de déportés étaient ceux qui étaient habités par une « foi », une foi religieuse ou une foi en l’autre, ceux qui sentaient qu’il fallait un peu s’oublier au profit de  l’autre pour oublier ses propres souffrances et dangers.
On n’en est est pas là, – pas encore – bien heureusement.
Mais il faut être vigilant. D’une vigilance active, qui sait qu’il faut se tenir informé.
Nous n’y parviendrons, individuellement, que si nous savons être solidaires, collectifs, si nous savons un peu nous oublier personnellement pour ouvrir les yeux sur ce que ressentent, éprouvent, vivent les autres.

Il faut que nous développions en nous une empathie sociale, que nous apprenions à mieux nous mettre dans la peau de l’autre, à ressentir son ressenti. Que ce réseau, ce maillage de solidarités retienne les malheureux qui sans cela seraient emportés par ces soudains tsunamis de la misère.

Je vous souhaite de tout cœur de vous sentir tenus par de telles obligations morales.
Mais aussi, de vous sentir tenus, obligés, par une  « supra solidarité », une solidarité écologique, environnementale, une solidarité de Terriens qui sentent, qu’en plus, ça aussi est singulièrement menacé par tant et tant d’âpreté au gain sans le moindre scrupule, et que du coup nous serons tous nécessairement, vitalement solidaires dans ces nouveaux malheurs
Pour cela je vous invite à consoler la petite Sirène de Copenhague, à sécher ses larmes. Ses regrets et ses vœux sont aussi les miens.

PER (Programme pour l’Épanouissement et la Réussite)

Le PER, un PEi dédié à la Petite Enfance, au Tout Petit.
Revoyez d’abord le précédent billet : Je recopie ici les deux lignes des sources de mes déjà (bien trop) longues réflexions :

Cela fait déjà bien longtemps que je tourne autour de cette idée venue du PEI du génial Feuërstein.

Le PEi a un i ambigu à l’ambiguïté savamment entretenue.
Le « E » et le « i » du Programme qu’est le PEi de Feuërstein, signifient « Enrichissement instrumental ».Ils vont bien sûr, au bout du compte, dans le sens d’un accroissement de l’intelligence, de l’efficience, du rendement, mais indirectement, grâce aux outils, aux « instruments » dont il enrichit ceux qui en bénéficient. Et c’est à cet enrichissement instrumental que visait d’abord Feuërstein : Sa vocation a toujours été le dévouement à la cause de cas souvent désespérés – un peu à la manière de Bettelheim qui ne recevait dans son École Orthogénique de Chicago le plus souvent que des « cas » refusés, rejetés de partout ailleurs.
Mais on comprend que cet aspect utilitaire, cet aspect efficience, efficacité, rendement intellectuel ait pu en tenter beaucoup, et qu’on se soit ingénié à en faire un outil quelque peu élitiste, pour tout dire souvent très loin d’être gratuit, et d’empêcher de bien mettre en œuvre sa vocation essentiellement préventive.

J’ai toujours cru en la prévention, en une possible générosité préventive qui ne permet pas que surviennent des aggravations, des détériorations difficilement réversibles. Mais quand il est déjà un peu trop tard on appelle au secours des urgences curatives et on est prêt à bien des sacrifices.

Il faut bien se pénétrer de cet esprit de prévention : là se trouve la vraie générosité, là se rencontre la pédagogie authentique des passeurs de savoir faire et de mieux être.
L’argent compromet, pervertit tout dès qu’il perd sa vraie vocation d’investissement.
Françoise Dolto a toujours été une extraordinaire pédagogue, d’une générosité sans égale : ses petits analysés la « payaient » d’un menu objet, un marron par exemple, un ticket de métro périmé, peu importait, seul comptait le geste. Ce geste était symbolique et signifiait un accord, un engagement de l’enfant, un vrai investissement, bien qu’en fait gratuit : « J’accepte ton aide, j’en ai besoin, je la veux… et ce petit rien que je n’ai pas oublié d’apporter pour toi seule, il est un peu comme un objet transitionnel qui signifie que j’entre dans ton monde, dans notre monde d’échanges symbolique, car je sens bien qu’en retour je recevrai de toi infiniment plus que je ne peux te donner, sécurité relationnelle et confiance retrouvée dans l’autre. »
Et sa longue série d’émissions sur France Inter, par la suite éditée, (papier, CD, DVD), que de fureurs n’a-t-elle pas provoquées chez nombre de ses chers confères en psychanalyse ! Je crois bien que tout simplement on lui reprochait de donner des solutions, des trucs, des recettes, pas seulement pour guérir dans l’urgence l’enfant (et les parents) du cas évoqué, mais aussi pour prévenir chez bien d’autres la survenue de perturbations dans la relation, dans l’efficience, dans les attitudes. Car il y avait toute une foule de parents auditeurs qui l’écoutaient avec vénération leur dire, leur expliquer, leur démontrer, ce qui malheureusement peut arriver, et comment, souvent tout simplement, par l’écoute et la parole aimantes on peut faire que ça n’aille pas plus mal, que ça aille mieux, et même, surtout, que ça n’advienne jamais, à nos petits à nous, toute cette souffrance dont cette grande dame parle avec le gentil Jacques Pradel.
Thierry Janssen, lui, a interrompu sa carrière de chirurgien urologue, pour mieux « se reprendre », se ressaisir, se ressourcer, lui aussi a toujours voulu expliquer, démystifier, mettre à portée de tous dans une langue limpide les concepts les plus ardus, au point qu’on l’appelait « Thierry J’enseigne ».
Repensez aussi à J.-D. Nasio, à la force de sa vocation, revoyez ses seuls titres : « Enseignement de 7 concepts cruciaux de la psychanalyse » / « Introduction aux œuvres de Freud, Ferenczi, Grodeck, Klein, Winnicott, Dolto, Lacan » / « Le plaisir de lire Freud », toujours ce désir, ce besoin de transmettre, de faire passer, de partager ses enthousiasmes, en expliquant par le menu, au besoin en créant de nouveaux concepts plus clairs.

P.E.R. : Programmé pour l’Épanouissement et la Réussite.
Aussi, je voudrais que vous repreniez la série déjà fournie des articles du blog qui approchent, tentent de cerner ces notions, ces principes de base, qui font que le petit d’homme, de tout temps et en tous lieux, de la préhistoire à nos jours et sous toutes les latitudes est sans aucun doute possible programmé pour s’épanouir et réussir.

Ainsi, avec en arrière-plan ces principes du PER, sur cette base d’une programmation génétique pour l’épanouissment et la réussite, nous allons désormais nous consacrer surtout aux MER, à la réalisation, à la mise en œuvre.

Vie réussie : vie parlée, vie écoutée

Il n’y a pas de vie parfaitement réussie, à l’aune du seul bonheur, qui ne peut être constant.

Et heureusement sans doute.
Car ce sont les inégalités, les aspérités, les secousses du parcours de la vie qui font prendre conscience de l’acuité du bonheur des moments heureux, de la profondeur des moments de doute, de désespoir.

Quand on est sorti du « creux » d’une des vagues de la vie, on mesure le prix de l’apaisement revenu, de la quiétude retrouvée, de la maîtrise de soi reconquise, et on sourit de ses faiblesses, de ses doutes passés.
Très vite, très tôt, il faut faire prendre conscience à nos petits, à nos tout petits, des sensations d’apaisement, de bonheur retrouvé après une épreuve, une douleur, une appréhension.
Leur apprendre à savourer, à reconnaître le plaisir, le bonheur.
Il faut leur dire le plaisir, le bonheur, les sensations de bien-être, de mieux-être.
Le parler vrai ne doit pas être réservé qu’aux difficultés, à la douleur, à ce qu’on a tendance à éviter, à refouler.

Il y a des mots tout simples du bonheur et du plaisir expliqués, traduits, partagés.

Le plaisir et le bonheur sont des droits.
L’évitement des peines, douleurs, malheurs, est un devoir
.

Nous sommes nés « équipés » pour savoir, pour pouvoir éprouver bien des bonheurs simples. Et aucun de ces merveilleux équipements sensoriels que sont la vue, le goût, l’odorat, le toucher (le contact, les caresses, l’exercice musculaire…) ne devrait être censuré, interdit, réprouvé. Tout devrait être appris, reconnu si éprouvé.
Certes, il y aura peu à peu une « éducation », une sublimation des plaisirs, l’apprentissage d’une hiérarchie des plaisirs, un affinement de leur gamme acceptée, tolérée, recommandée par notre culture, nos habitudes familiales, sociales.

Mais rien d’emblée ne devrait être censuré. Un corps est fait pour parler, informer, renseigner sur la couleur, la tonalité de la vie, la vraie vie vécue, éprouvée. Un corps est fait pour être écouté, le corps à soi avec sympathie, le corps des autres avec empathie.


Notre corps ne cesse de nous parler. Son langage, tous ses langages, devraient être appris peu à peu comme une première langue précieuse, indispensable. Une langue bien antérieure à la parole. Une langue pratiquée dès avant la naissance.

Respectons la parole du corps. Et d’abord celle du corps de nos tout petits.

Un corps parle toujours vrai, qu’il dise le plaisir ou la douleur, qu’il joue une partition harmonieuse ou discordante, agréable ou déplaisante pour soi ou pour l’entourage.

Soyons, nous adultes, les interprètes pour nos tout petits, de ce que leur corps leur dit, leur raconte, leur murmure, leur conseille ou leur déconseille. Racontons-leur ce que leur corps à eux, tout petits, a la gentillesse, « l’intelligence », de nous raconter à nous adultes qui sommes certes des dieux tout puissants mais qui ne saurions peut-être pas tout lire sans cette confiance d’un corps qui sait qu’il peut parler librement.
Oui, il y a une intelligence du corps, qui dès avant la naissance et tout au long de la vie sait parler à sa façon, souvent immédiate et pertinente.

Un bain linguistique corporel.
Cette merveilleuse langue du corps, des corps, nécessite un apprentissage, une familiarisation, une imprégnation, un bain linguistique, un peu comme pour une langue étrangère
Il faut que l’enfant, très tôt ressente cette communion linguistique, cette quasi identité des sensations éprouvées, (par les humains mais aussi par les animaux), de la gamme infinie des joies, satisfactions, plaisirs, jouissances, mais aussi des déplaisirs, peines, désagréments, douleurs…, que nous, adultes, éprouvons nous aussi ce qu’eux enfants non parlants ou encore mal parlants ne savent pas bien démêler, discriminer, qu’ils ne savent pas encore ou suffisamment bien « mettre en mots ».

Traduisons en mots vrais les sensations vraies que nous savons bien, que nous voyons bien, que notre tout petit éprouve, que nous reconnaissons avoir éprouvées autrefois ou à d’autres moments ou que par chance nous éprouvons en même temps que lui. C’est la moindre des tendresses pour nos tout petits à nous, c’est la moindre des générosités, des obligations pour d’autres tout petits que nous croisons.
Nous serons de bons interprètes, de bons traducteurs, nous qui avons l’expérience, le vécu, si nous n’avons personnellement ni censures, ni tabous, ni interdits remontant à notre propre éducation ( il faut alors apprendre – seul ou non – à s’en libérer), ne plus avoir de préjugés, de dégoûts devant les « propos » souvent très crus, très réalistes des corps.
On devrait toujours parler à un tout petit, toujours lui dire, lui raconter tout ce qui se passe en lui, tout ce qui sans doute va se passer en lui, comme en chacun de nous.

Surtout ne pas s’indigner, ne pas culpabiliser, car rien ni personne ne peut empêcher un corps d’exprimer, de « sortir » ce qu’il a à dire. Si on l’en dissuade, si on l’en empêche, il saura trouver d’autres « langages », d’autres voies, d’autres issues, d’autres sorties de secours – ce sont toutes les somatisations – pour tenter de clamer ce qu’il veut et doit dire pour son équilibre, pour le bien-être ou le mieux-être auxquels il a droit.

Il y a dans tout corps un écosystème qui plonge dans l’écosystème plus vaste du milieu de vie.
Les organes sensoriels, la peau en particulier, en sont l’interface, et les sensations que le corps sait générer sont ce langage primal, vital et infiniment riche et nuancé.


On ne peut faire taire un corps, comme on ne saurait faire taire un inconscient.
L’inconscient sait parler, contourner les interdits, les refoulements, par la voie royale des rêves (que sait remonter en sens inverse le psychanalyste), les propos plus frustres et moins hermétiques peut-être des actes manqués, des lapsus, des jeux de mots, des oublis…
Les somatisations du corps ce sont ses « contorsions », ses détours, ses codes – nous revoilà aux langages – pour parvenir quand même à nous dire, ce qu’il doit « sortir », « exprimer » pour s’en libérer.


Le tout petit ne comprendra pas ces mots ? Peu importe ! Il reconnaîtra la « musique »
, la tonalité heureuse ou désolée, compatissante – pour lui – de vos mots à vous, de ces commentaires vrais, sincères, et « affectifs », que vous faites à chaud de l’évènement que lui seul vient de vivre, de ressentir dans son corps, ou vous que vous seul(e), ou vous deux ou tous ensemble venez d’éprouver.

Janssen (Thierry) : Guérir (« La solution intérieure »)


Une découverte :

Je voudrais tout simplement vous faire partager mon émotion, mon vif intérêt, et vous faire découvrir – si vous ne l’avez déjà fait – un homme étonnant, séduisant, Thierry Janssen, au travers du premier ouvrage de lui que j’ai lu : « La solution intérieure », qui est en fait son 4ème ouvrage, une sorte de couronnement dans son approche progressive de la compréhension des mystères de la maladie, aussi bien quand elle nous foudroie que quand elle nous libère, nous « lâche », nous épargne, nous évite.
Cette « solution » essentielle, vitale, qui nous préoccupe tous au plus haut point, celle du retour à la santé, mieux encore celle du maintien dans l’état de bonne santé.

Thierry Janssen, un Belge francophone qui, comme l’Argentin Juan-David Nasio, nous parle dans un français limpide, lumineux, où s’expriment son intelligence exceptionnelle, son immense érudition, ses compétences de médecin, de chirurgien, d’analyste et de psychothérapeute, nourries de ses recherches incessantes et d’un intense désir de faire partager, comprendre ses idées, toutes les idées qu’il pense devoir nous faire connaître, vivifiées par un altruisme, une générosité de tous les instants.
Ses premiers écrits : « Le travail d’une vie », « Vivre en paix », « Faire la paix avec les morts » disent éloquemment ses préoccupations de philosophe humaniste qui veut nous aider à donner un sens à nos vies (individuelle, collective, transgénérationnelle), et à leurs aléas.

Humilité, sincérité scrupuleuse.
Quelques brefs extraits de ses premier écrits (« Le travail d’une vie ») soulignent cette authenticité
:

« J’ai longtemps hésité à écrire le livre que vous tenez entre vos mains. Une voix intérieure me demandait sans cesse qui je croyais être pour oser proposer un modèle de la conscience humaine à mes congénères. »
« J’étais tiraillé entre le désir profond de communiquer la beauté que j’avais découverte dans la vie et l’inhibition engendrée par le jugement que je portais sur ma démarche. »
« Ce livre est le fruit d’un long voyage à travers les méandres obscurs de moi-même et des autres. »

Après un début de parcours classique, il devient chirurgien urologue, mais très vite,

« n’en pouvant plus de construire ma vie sur les bases d’une vision mécaniste de l’être humain, j’ai choisi de quitter ma carrière hospitalière…/… j’ai consacré deux années à la lecture et à la méditation. Deux années durant lesquelles j’ai réappris à toucher les arbres, à sentir le parfum des fleurs et à respirer au plus profond de mon être. Deux années qui, sans l’avoir décidé, simplement en suivant la guidance de mes voix intimes, m’ont reconduit vers ma vocation de soin et d’enseignement, cette fois en parfait accord avec l’être fluide et spirituel qui sommeillait en moi depuis toujours. »
« Car aider les autres, c’est s’aider soi-même. Apprendre à aimer l’autre, c’est apprendre à s’aimer soi-même. »
« … j’ai construit cet ouvrage sur les bases rationnelles de l’Occident tout en veillant à y intégrer les puissantes intuitions de l’Orient. »

Et en conclusion provisoire :

« Nous savons, au fond de nous, que nous sommes les créateurs de notre vie. »

Voici Thierry Janssen, à l’évidence ouvert, apaisant :


Le voici maintenant, à travers quelques vidéos où il nous dit son cheminement personnel, ses convictions comme ses intuitions qui sont des quasi certitudes :

Je les emprunte à son site http://www.thierryjanssen.com/ , et je les reproduis ici pour que vous puissiez les retrouver facilement via le blog.
Et je vous invite à les visionner dans l’ordre suivant, inverse de celui du site: cela me semble suivre de plus près la chronologie de ses écrits, donc de ses recherches sur lui-même et les autres.

http://omegatv.tv/video-1825764809-psychologie-connaissancedesoi-Thierry-Janssen–comment-devenir-maitre-de-son-existence-.php
« maîtriser sa propre vie et agir de façon cohérente »)

http://omegatv.tv/video-1825806736-sante-medecinesdouces-Thierry-Janssen–la-guerison-par-la-meditation-.php (« autorégulation de la tension, détente, renforcement des défenses immunitaires »)

http://omegatv.tv/video-1825615700-psychologie-connaissancedesoi-Thierry-Janssen–la-guidance-interieure-.php (savoir être à l’écoute de son corps)

http://omegatv.tv/video-1826517802-psychologie-connaissancedesoi-Thierry-Janssen–comment-se-responsabiliser-.php (comment répondre à la maladie quand elle nous atteint, comment se sentir responsable du processus de guérison ?)

http://omegatv.tv/video-1825764852-sante-medecinesdouces-Thierry-Janssen–quand-la-guerison-passe-par-la-rencontre-.php

« Depuis la nuit des temps, dans toutes les cultures de l’humanité, la guérison passe d’abord par la rencontre. Et les guérisseurs ont une qualité de présence qui semble intervenir dans les guérisons intervenues »

http://omegatv.tv/video-1825806742-psychologie-connaissancedesoi-Thierry-Janssen–savoir-s-ecouter-.php (« écouter notre voix intérieure pour entendre nos désirs profonds » :

« …Et pendant que je souffrais( énormément), je me suis dit : « Finalement, il y a longtemps que tu n’as plus écouté cette petite voix qui d’habitude te montre le chemin et qui te fait revenir au bon sens. Je me suis dit « Si tu n’avais plus que trois mois à vivre, qu’est-ce que tu aimerais encore réaliser ? Et tout de suite je me suis écrit, parce que je tiens donc ce journal : « je voudrais aimer et je voudrais écrire un livre qui s’intitulerait « La solution intérieure »… Ce livre, il va falloir le faire, plutôt que de tricher ». Et de ce jour-là, j’ai essayé d’être cohérent, et j’ai averti tous mes patients que six mois plus tard, j’allais me mettre en retraite d’écriture pour essayer d’accomplir ce désir. »

Et, pour moi le document le plus émouvant, un long document de 18 minutes dans lequel Thierry Janssen nous confie les racines de sa vocation de soignant, puis vers la trentaine, sa « re-naissance » en abandonnant la carrière chirurgicale… « – Mais qu’est-ce que tu vas faire ? – Je ne sais pas, mais je sais ce que je ne ferai plus. »…
http://omegatv.tv/video-1825879230-psychologie-connaissancedesoi-Thierry-Janssen—je-suis-ne-une-seconde-fois–.php

(…le fait de voir l’homme [un chirurgien] qui allait sauver ma mère m’a donné l’envie de ressembler à cet homme-là… Je voulais être professeur [de chirurgie], j’ai toujours voulu transmettre. D’ailleurs, dans la cour de récréation, on m’appelait « Thierry j’enseigne ».)

http://omegatv.tv/video-1825615666-sante-medecine-cancer–mieux-le-comprendre-avec-Thierry-Janssen-.php Passionnant! (« Médecine de la maladie ou médecine de la santé ? »

« Pendant des années, notre médecine qui ne s’est intéressée qu’ au corps objet, a tenté de monter qu’il y avait des causes physiques aux maladies et elle ne s’est intéressée qu’à ces causes physiques… »

http://omegatv.tv/video-1825615651-psychologie-connaissancedesoi-Thierry-Janssen–pourquoi-autant-d-anti-depresseurs-.php (« La solution est à l’intérieur de nous, elle ne doit pas venir de l’extérieur. »)

http://livres.tv/video,thierry-janssen,maladie-t-elle-sens,nx081104155026160.html (« …en soignant le corps sans se soucier de l’intégralité de la personne humaine… la médecine conventionnelle oublie les liens qui unissent les patients au monde dans lequel ils vivent. »)

Je suis sûr que maintenant vous connaissez mieux cet homme exceptionnel à qui on aimerait se confier, ou tout simplement parler, ou plus simplement encore qu’on serait heureux et enrichi de voir et entendre en conférence.
Mais je pense que déjà ces dix vidéos valent une conférence et donnent envie de mieux le découvrir à travers ses livres. Voyez et revoyez son site, riche et généreux. Voyez les lieux et dates de ses prochaines conférences, vous aurez peut-être de la chance…

Je reprendrai bien sûr cette présentation de Thierry Janssen.
Vous verrez qu’il est si scrupuleux et si érudit qu’il nous enseigne tout ce que depuis la nuit des temps des hommes généreux et doués d’empathie ont tenté pour faire reculer la souffrance, le mal être, retarder et aider l’homme angoissé à envisager avec moins d’effroi l’inéluctable mort. Et que parmi toutes ces efforts, tous ces médiateurs de la douleur et de la déchéance, il en est contre lesquelles Thierry Janssen lui-même nous met scrupuleusement en garde. Et parmi ceux qu’il recommande, il en est que personnellement que je ne « sens » pas, et que même je crains et réprouve. Sachons écouter « la petite voix intérieure » : dans les moments de grand enjeu où notre vie peut basculer, je suis persuadé qu’elle peut être une très sage conseillère en résilience, surtout si on a pris l’habitude de ce dialogue avec soi-même qui peu à peu rend plus honnête, plus scrupuleux et plus cohérent.

Le baume de mots vrais de Françoise Dolto

On le sait, il y a parfois, hélas, de mauvaises fées, des sorcières qui se penchent sur les berceaux, et qui, envieuses ou anxieuses, distillent des propos fielleux quant à l’avenir du tout petit nouveau venu : « Ah ! Avec celui-ci [ou celle-là], ça ne sera pas facile !… » Il est vrai que parfois les gênes ou la seule malchance néo natale jouent de sales tours aux nouveaux nés qui n’ont pas que de bonnes cartes dans la première donne de leur jeu et qui leur confèrent d’emblée l’allure de vilains petits canards à l’avenir douteux.
Eh bien ! Malgré cela, Françoise Dolto la super bonne sorcière sait conjurer ces noires prédictions. Habituellement, les magiciennes, même les meilleures des bonnes fées, tiennent à leur pouvoir – et à leur emploi – et gardent précieusement leurs secrets, mais Dolto est si généreuse, si désireuse du mieux-être de tous les tout petits qu’elle nous livre ses formules et même ses secrets d’alambic.

Quelques prescriptions de ce baume de parler vrai de Françoise Dolto (j’en ajouterai d’autres de temps en temps) :
Enfant adopté
« Ce sont tes parents adoptifs, comme tu es leur enfant adoptif. Ils sont comme toi : tu es adoptif, ils sont adoptifs… Deux autres, que tu ne connais pas, ont été tes parents géniteurs. Tu as été engendré par ta mère de naissance, elle n’a pas pu t’élever, et t’a confié en vue d’adoption ; elle t’avait mis au monde sain et solide puisque tu as survécu à votre séparation. »
« Comme je suis reconnaissante à ta mère de t’avoir mis au monde et de m’avoir donné la joie de pouvoir t’élever, bien qu’elle n’ait pas pu te garder, quelles qu’en soient les raisons, je n’en sais rien, ton père non plus ; en tout cas, quelle joie ils nous ont donnée d’avoir un bel enfant, et comme ils devaient être bien pour que tu sois si bien. »
(« Tout est langage » Folio p217)
À la mère désespérée d’un enfant mongolien de 3 jours :
« Il faut le leur dire tout de suite, dès leur naissance » p 158
« Dites à votre fille pourquoi vous pleurez, qu’elle est trisomique 21, qu’elle n’est pas comme d’autres enfants dont on sait comment les élever. Employez le mot « anomalie génétique » et dites-lui que vous pleurez parce que cette anomalie fait que vous ne savez pas comment vous pourrez l’élever et que vous avez peur qu’elle soit malheureuse. » Tout est langage » Folio p159)
Maladie grave
:
« …Il faut le lui dire tout de suite, lui dire : « Tout ce que tu ressens, tu peux m’en parler ; c’est toi qui sais comment cela va ; il faut que tu renseignes le médecin, et s’il n’a pas le temps de t’écouter, moi je le ferai. »
Le Parler vrai d’un enfant qui se savait condamné :
« Tu diras à maman que je l’aime même quand je suis mort. »
Et Françoise Dolto ajoute « Cela fait partie du vivre que de mourir pour chacun de nous, et c’est beaucoup moins angoissant chez les enfants que chez les adultes, parce qu’ils n’ont pas de responsabilité. Ils en ont un peu comme celui-là avait la responsabilité de sa mère. »
L’infirmière lui avait demandé conseil :
– «Cet enfant est en train de mourir, la mère est dans un état épouvantable. Qu’est-ce qu’il faut lui dire ? Faut-il la prévenir ? Elle va arriver dans huit jours, l’enfant sera mort, elle n’a pas l’air de s’en douter…
– Écoutez, moi je ne sais pas, mais l’enfant sait. Il connaît sa mère. Demandez-lui. »
L’infirmière, à l’enfant :
– «Qu’est-ce que tu crois qu’il faut dire à ta mère sur l’évolution de ta maladie ?
– Elle ne peut pas supporter que je vais mourir ; alors tu feras ce que tu pourras. » «
Tout est langage » Folio p155…

La recette du baume du parler vrai façon Françoise Dolto :
Une part de chacun des ingrédients suivants (on les porte presque toujours en soi sans bien s’en douter et ils se révèlent quand joue notre capacité d’indignation et notre besoin d’engagement, d’action, notre refus de rester indifférent et passif)
– altruisme
– générosité
– humanisme
Tout cela bien mêlé à des mots de tous les jours, des mots clairs, sans ambiguïté, « Il faut dire aux enfants les mots justes… Nous disons les mots aux enfants bien avant qu’ils sachent ce qu’il y a sous les mots. » Mais aussi des mots à vous, de votre langue, de votre dialecte, de votre patois même – il est souvent si riche en sentiments simples mais forts et vrais (c’est encore heureusement souvent la merveilleuse langue grand maternelle).
Françoise Dolto répond à la question :
– « Comment peut-on comprendre que l’enfant comprenne le langage ?
– Je ne sais pas, mais c’est vrai. Et il comprend toutes les langues. Si une Chinoise lui parle en chinois, une Arabe en arabe, et une Française en français, il comprend. Il comprend toutes les langues. Peut-être intuitionne-t-il ce qu’on veut lui dire. Peut-être est-ce communication d’un esprit à un autre esprit. Il en a l’entendement.
En couveuse, l’enfant n’entend pas avec ses oreilles physiques que sa mère est là, il a l’entendement de sa présence autre, mais qui est la suite de cette même présence quand il était in utero. Sa mère in utero, c’est sa mère ; sa mère qui vient pour lui et pour elle, l’aimer quand il est dans la couveuse, c’est aussi sa mère. Un cœur à cœur se renoue à défaut d’un corps à corps. »
(« Tout est langage » Folio p215)

Administration : Essentiellement par voie auriculaire, sous forme de phrases et de mots simples. Mais aussi accessoirement et simultanément :
– par voie cutanée (par le contact chaleureux)
– par voie olfactive (par l’odeur reconnue)
– et bien sûr par la vue (par les yeux de l’enfant qui vous voit lui dire ces mots avec une expression – perceptible aussi dans le ton – de sincérité, d’authenticité)
En fait le parler vrai est un bain langagier, un bain auquel on a ajouté les précieux sels de la tendresse, de l’amour, du désir de vie pour l’enfant, de la confiance que l’on a dans le potentiel de progrès d’un tout petit, dans la certitude que l’on a que, quel qu’il soit en ce moment, il est digne que nous soyons ses passeurs.

Posologie :
Il n’y a pas de dose limite, pas d’âge limite, pas de thème interdit, du moment qu’il s’agisse de la vérité de l’enfant, de ses origines, de son passé, si douloureux soient-ils : Personne, surtout pas les tout petits, ne se lasse d’une parole vraie enrobée de tendresse et d’amour.

Contre indications :
Aucune contre indication pour les enfants, si jeunes soient-ils. Aucun risque, ni allergie, ni accoutumance, ni dépendance.
Quant aux adultes, tous seront bénéficiaires de ce parler vrai aux tout petits. Ils apprendront même pour leur plus grand bien à se parler vrai entre eux…
Les seuls à tenir éloignés sont les pervers sadiques notoires (mais Marie-France Hirrigoyen vous dirait que leurs victimes, même adultes, tombent des nues quand elles découvrent celui ou celle qui les harcèle, souvent très proche et faisant parfaitement illusion.)

Les pré-requis du parler vrai.
Quelques conditions préalables tout de même : Ce n’est pas une recette magique, il faut donner de soi-même, avoir développé en soi quelques qualités.
Il suffit d’être capable d’un parler suffisamment vrai, authentiquement généreux et désireux du bien de l’enfant (un peu comme Winnicott parle d’« une mère suffisamment bonne »). Mais rassurez-vous, la pratique du parler vrai vous transformera, vous rendra presque toujours meilleur: Le parler vrai fait du bien aux tout petits mais aussi à celles et ceux de leurs proches qui le pratiquent.

Tout simplement parce que parler vrai à un tout petit a très souvent valeur de serment : c’est un engagement qui le portera, lui le tout petit si vulnérable, si menacé peut-être, mais qui vous portera, vous aussi. Vous serez tenu à garder cette attitude positive et vous serez soutenu dans cet effort par le seul fait d’avoir su employer ces mots dans le climat affectif qu’il leur faut.
Vous deviendrez tout bonnement l’un de ses plus précieux tuteurs de résilience.