Bulles de l’inconscient

Une marionnette parle, toute seule, comme ferait un ventriloque – ce qu’est souvent d’ailleurs un montreur professionnel.
La marionnette s’agite, se démène. Elle a des gestes sommaires, des attitudes approximatives, des déplacements simplistes, tout un comportement rudimentaire. Surtout si c’est un enfant qui la mène.
Peu importe. Ce qui compte, ce sont ses mots, ses paroles, d’une voix souvent déformée, pour paraître autre que celui ou celle qui la manipule.
Dans une BD, ces mots seraient enserrés dans des bulles.
Beaucoup de ces mots-bulles, de ces rafales, de ces giclées échappées comme sous une forte pression, nombre des comportements souvent violents qui les accompagnent, viennent en droite ligne de l’inconscient du Moi-Marionnette.
Il en est parfois de nauséabondes, de ces bulles qui émergent comme d’un marigot, comme d’une mare dont on touille la vase : sous les lentilles vertes du marais, les bulles qu’on peut enflammer.
C’est cela la vérité de l’inconscient. Cette vérité vraie, qu’il faut savoir admettre, et qui sort toute nue, en tout cas bien peu travestie, de la bouche innocente des marionnettes.
Tout ne vient pas de cet au-delà, de cet avant de la toute petite enfance, celle d’avant les mots eux-même. Mais ce qui s’échappe et qu’on apprend vite à flairer et reconnaître est précieux bien que parfois cruellement déplaisant.
Ces mots-éruption qui font irruption sont comme un prurit pui pourrait prévenir une somatisation plus grave.
Laissez parler les marionnettes de votre enfant : il se soigne.
Saisissez, vous aussi, une autre marionnette, et dialoguez avec la sienne, – avec lui : il vous viendra alors sûrement, au milieu de tout un verbiage banal, des choses essentielles, des pépites de parler vrai où vous entendrez ses appels, où vous sentirez ses besoins, où vous vous découvrirez l’un l’autre.

Vous pourriez relire avec profit cet article https://toutpetits.wordpress.com/2008/05/08/marionnettes-leur-parler-vrai-leur-agir-vrai/  

et celui-ci : https://toutpetits.wordpress.com/2008/05/05/le-theatre-de-la-vie/

 

Et puis, il est encore temps, pour les fêtes, de bricoler pour vous et vos enfants un théâtre de marionnettes :
https://toutpetits.wordpress.com/2008/06/12/castelet-pour-les-marionnettes-de-toutpetit-tpjx/
https://toutpetits.wordpress.com/2008/07/06/tout-beau-le-castelet-des-marionnettes-suite/

Douleur, soulagement : une idée du paradis?

 

Ignoble et stupide douleur.

Presque toujours dans la démesure, la douleur prétend nous informer d’un risque, peut-être d’un d’un péril mortel.
C’est pour notre bien, dit-elle par la voix de ses doctes défenseurs, qu’elle s’acharne et nous épuise. Mais que vaut le signal de la douleur pour un tout petit qui ne sait encore que hurler, puis pleurer, et encore gémir jusqu’à la prostration muette? On me répondra que cet avertissement, cet appel à agir s’adresse aux adultes de l’entourage, aux parents d’abord.
Mais s’ils sont impuissants contre cette douleur venue on ne sait d’où? Ce serait alors comme une sanction contre leur incapacité? Une sorte de jugement assorti de sa peine sur un tout petit pris en otage?

Un peu de mesure, de raison serait bienvenu. La douleur n’est pas toujours une fulgurance insupportable au relief tout de suite vertigineux au point de faire tomber en syncope. C’est souvent comme une onde qui a des allures de colline : Cela s’annonce, commence doucement, monte peu à peu en puissance. Mais ça reste raisonnable, et décline progressivement vers les plaines du bien-être. Jusqu’à la prochaine onde. La prochaine colline à gravir, à endurer, n’est pas loin. Et elle est chaque fois plus affirmée.
Comme si on n’avait pas compris, ça reprend de plus belle. On va avoir droit aux excès de l’ère tertiaire, tout le plissement alpin des sommets et des pics vertigineux de cette Chaîne des Douleurs. Et le malheureux Sisyphe ahane et gémit. Et les prêtres et docteurs hochent la tête devant une telle puissance qui les humilie… et les sert tout à la fois.

Mais alors quel sens donner à la douleur? Sanction? Rachat? Épreuve gratuite?

Peut-être est-ce pour nous donner un avant-goût de ce que pourrait être un au-delà paradisiaque? Un ailleurs où toute souffrance serait abolie?
Après une longue vie de plus en plus douloureuse, physiquement et moralement, on se prend forcément à rêver d’un évanouissement de la souffrance. Même s’il faut en perdre conscience. Et peut-être ne pas se réveiller, ne pas revenir à soi et aux autres, à la vie. Pourquoi survivre dans ces conditions? Pour risquer à nouveau de semblables épreuves?

Il faut beaucoup de force pour endure, stoïque, ces assauts stupides, comme d’une mer infatigable de plus en plus déchaînée.

Peut-être pour mériter ce Paradis des chrétiens, ce nirvāṇa des bouddhistes qui n’est pas le concept freudien de « nirvana » (« Le principe de nirvana est un concept psychanalytique de la tendance au néant, ce qui ne correspond pas au terme nirvāṇa bouddhiste, mais plutôt à vibhavatṛṣna qui est la soif de non-existence. »). Le nirvana freudien serait un désir d’en avoir finir avec le passé de la vie terrestre davantage qu’une aspiration à un au-delà et à une vie meilleure parce qu’en particulier exempte de souffrance.

C’est alors qu’on peut penser à Freud, qui avait fui à Londres le cancer du nazisme et y terminait sa vie, rongé par un autre abominable cancer, de la mâchoire. Un cancer qui creusait chaque jour plus profond à mesure que son médecin et les chirurgiens tentaient de vains curetages. Freud resté toujours parfaitement lucide et d’une admirable dignité :

http://agora.qc.ca/thematiques/mort.nsf/Documents/Sigmund_Freud (§ 3 et 4)

« Le cheminement de Freud vers la mort a été plus complexe, car il avait conclu avec son médecin une entente au sujet du contrôle de la douleur lorsqu’il serait rendu en phase terminale. Les dernières années de Freud ont été douloureuses, non seulement parce qu’il a dû quitter son pays natal et émigrer en Angleterre à cause du nazisme, mais surtout parce qu’il souffrait d’un cancer de la bouche. Par contre, son souci obsessionnel de fixer la date de sa propre mort, en s’appuyant sur les savants calculs de son ami Wilhelm Fliess, a disparu progressivement pour faire place à une acceptation de la loi inexorable de l’Ananké, de la nécessité de mourir. Il se rappelle le vieil adage: «Si tu veux la paix, prépare la guerre» en l’adaptant: «Si tu veux la vie, sois prêt à consentir à la mort», car il considère la mort comme une nécessité interne de toute vie, malgré toutes les spéculations qu’il a pu faire sur l’hypothèse de l’immortalité de la vie à partir de ses expérimentations cliniques.

Nous devons à Max Schur, son médecin personnel, le récit des dernières heures de la vie de son patient. Le 21 septembre, tandis qu’il était au chevet de Freud, celui-ci lui prit la main en disant: «Mon cher Schur, vous vous souvenez de notre première conversation. Vous m’avez promis alors de ne pas m’abandonner lorsque mon temps sera venu. Maintenant ce n’est plus qu’une torture et cela n’a plus de sens.» Le médecin lui fit signe qu’il n’avait pas oublié sa promesse. Soulagé, Freud soupira et lui dit: «Je vous remercie.» Selon le désir exprimé par Freud, Schur mit Anna, sa fille, «sa favorite, sa confidente et enfin son infirmière» (J.-P. B., «Freud», Le Point, n°4, p.53) au courant de leur conversation. Lorsque la douleur redevint insupportable, il lui fit une injection sous-cutanée de deux centigrammes de morphine. L’expression de souffrance disparut du visage du mourant. Le médecin répéta la dose environ douze heures plus tard. Freud entra dans le coma et ne se réveilla plus. Il mourut le 23 septembre 1939 à trois heures du matin »
(M. Schur, La mort dans la vie de Freud, Paris, Gallimard, 1975). »

Le soulagement ne vaut en contrepoint que par la douleur qu’il fait cesser.

Peut-on concevoir un paradis? un bien-être permanent, uniforme, sans le moindre relief de souffrance? Ni même donc de peur de souffrir? Sans désir ni haine?
Sans souvenir marquant, ni en mal (douleur), ni en mieux (soulagement). Sans temps, – ni présent, ni passé, ni avenir. Sans compter l’immense promiscuité dans un monde d’indifférence mutuelle – L’ intérêt pour les autres ce serait le retour à un enfer (selon Sartre), donc à une souffrance prometteuse de lendemains meilleurs…

Je me souviens de mon beau-père qui souffrait le martyre pour un méchant zona qui lui vrillait l’œil : « L’ophtalmo m’a mis une goutte, une seule, dans l’œil, et la douleur s’est instantanément évanouie ! Je l’aurais embrassé ! »
Les grands torturés par la maladie et qui ont la chance de bénéficier d’une pompe à morphine doivent vivre de cette manière le soudain répit que procure son branchement. Et il faut espérer que la mort qui sonne la fin des hostilités procure aux mourants cette certitude heureuse du retour à la paix.

Il faut la grandeur d’âme d’un Sigmund Freud, la conscience d’une vie bien remplie, l’exigence de dignité qu’impose l’idée qu’on se fait de l’homme, pour endurer avec sa seule personnalité une si rude fin de parcours vers le néant.

David Servan-Schreiber : au terme d’une vie rêvée, un ultime et infini point d’orgue à bien tenir, la mooooort…

(On peut se dire au revoir plusieurs fois, Robert Laffont, 2011)

Une vie, pour être mieux réussie, se doit de bien finir, dans le courage, l’acceptation et la dignité consciente. Sans que l’on cesse pourtant d’espérer un toujours possible sursis, ni de tout faire pour le mériter.

Si bien que l’au revoir aux proches et aux amis peut bénéficier, comme dans une belle partition bien orchestrée, et même à plusieurs reprises, d’un bienveillant et bienvenu « da capo ». Une sorte d’ « à refaire », bien agréable ma foi, et que nous souhaitons de tout cœur à David Servan-Schreiber. Certes, ce temps de l’au revoir façon DSS est quelque chose de bien émouvant, mais celles et ceux qui en sont honorés en sont sans doute à la fois bouleversés et flattés. Heureux et malheureux. Ce n’est pas peu de chose que de s’entendre dire par un tel homme : «J’ai des choses importantes à te dire», et le moment venu, s’entendre annoncer: «Il faut que je te dise au revoir.»

Quand on a bien pris congé des amis, il faut se tourner vers soi pour un ultime bilan de cette vie qui n’a plus rien à entreprendre. Se tourner aussi vers cette gueuse de mort et la regarder droit dans ses orbites vides.

« La première idée qui console, c’est qu’il n’y a rien d’injuste dans la mort. Dans mon cas, la seule différence, c’est le moment où cela arrive, pas le fait que cela arrive. La mort fait partie du processus de vie, tout le monde y passe. En soi, c’est très rassurant. On n’est pas détaché du bateau. Ce n’est pas comme si quelqu’un disait : « Toi, tu n’as plus de carte, tu ne peux plus monter ». Ce quelqu’un dit simplement : « Ta carte s’épuise, bientôt, elle ne marchera plus. Profites-en maintenant, fais les choses importantes que tu as à faire ». »

Matthieu Ricard, en précieux soutien :  » C’est le moment de trouver le calme et la sérénité. On demande notamment aux gens de ne pas pleurer, de ne pas hurler pour ne pas troubler la personne qui s’en va. Ce moment, quand il arrive, doit se faire comme un prolongement de la pratique spirituelle et pas comme un arrachement. Le monde n’est pas injuste parce que l’on meurt à un moment ou à un autre. Et puis c’est la qualité de la vie qu’on mène jusqu’au dernier moment qui compte. En fait, la mort est l’aboutissement d’une belle vie. » (lors de l’interview donnée par David Servan-Schreiber à Ève Roger)

Aucun doute, cela aura été une bien belle vie que celle de David Servan-Schreiber.

Une vie un peu écourtée, c’est évident. Il le déplore, mais pas trop. Mais aussi quelle densité! Que de « fontaines de joies » à  gros débit, auxquelles il s’est longuement abreuvé !

« Non! rien de rien! Je ne regrette rien… » pourrait-il chanter… mais un peu faux, car il est conscient d’être lui-même « passé à côté d’Anticancer »

Non il ne regrette rien de sa vie exaltante. Pas même les excès sources de stress, commis dans le vertige et l’euphorie de la promotion de « Guérir » et d' »Anticancer » (2003 / 2007) : Ces ouvrages étaient si bien accueillis par le public – vraiment concerné, lui, dans sa quête de remèdes ou de préventions. Mais il fallait bien aussi parfois les défendre bec et ongles contre certains chers confrères. Des conférences donc, à répétition. Des débats aux quatre coins de la planète. Des voyages et surtout des décalages horaires épuisants.
L’horloge biologique n’aime pas qu’on la chahute ainsi. C’est comme la grande pendule de grand-mère, il ne faut pas la promener d’une pièce à l’autre. Elle carillonne alors à contre temps – les heures à la demie, ou les 12 coups tous les quarts d’heure… Le tic tac a des ratés. Parfois même les poids lui en tombent…
Pourtant David reconnaît son ambivalence quand il soutient qu’il ne se priverait pas des joies intenses liées à ses excès, si c’était à refaire.

« Moi, je suis passé à côté d’«Anticancer». J’ai vraiment cru que manger comme il fallait – du curcuma, des oignons… – m’autorisait à être moins vigilant sur le stress dans ma vie. Je pensais que quinze minutes de yoga et de méditation tous les matins suffisaient. Mais cela ne contrebalance pas le fait que parcourir trois villes européennes dans la même journée, avec une conférence à chaque fois, c’était trop. Je pense aujourd’hui qu’il faut commencer par maîtriser les sources incessantes de stress. »

Vous avez des regrets?
Non.

C’est paradoxal…
Je dirais… ambivalent. »   (Interview d’Ève Roger)

Maintenant, ses exaltations sont plus paisibles, faiblesse oblige.
Ses fontaines de joie se sont assagies.
Mais il en traque le moindre filet avec une passion, un bonheur de sourcier :
Et ce sont de menues joies, des pépites de petits bonheurs au milieu d’un immense désert de malaises et de douleurs. Des joies  sensorielles, simples, comme des joies d’enfant, comme celles, partagées avec son chien et son chat. D’autres joies, plus éthérées, grâce aux enseignements de Matthieu Ricard. Maintenant, le moindre petit bonheur désaltère, rafraîchit et apaise comme l’eau pure qui surgit de partout en montagne et qu’il est si bon de « cueillir » entre deux mains.

Reste une dernière réussite imposée, une belle mort, en point d’orgue façon gooooogle.
Mais l’au revoir, indispensable, ne sera peut-être pas un adieu, et on pourra toujours se revoir.
Même dans les intrigantes EMI, ces expériences de mort imminente.
Il a vécu cela, lui-même au moins une fois. Mais surtout avec ses patients de Pittsburg.
Car David Servan-Schreiber a une longue expérience de médecin psychiatre, alors, que tout jeune encore, il poursuivait une brillante carrière de chercheur et de praticien à Pittsburg.

Ses patients ne relevaient pas, absolument pas de la psychiatrie classique. Tout était parfaitement normal en eux, aucune aberration de comportement.
Sinon qu’ils étaient pour la plupart atteints d’un cancer sur le point de l’emporter. Ainsi en phase terminale, l’essentiel était donc de soulager leurs souvent terribles douleurs. Mais ça on sait faire et on maîtrise bien – si on veut vraiment tuer, atténuer  la douleur, ce qui n’est pas toujours le cas… Le plus important, le plus difficile, c’est d’assister, de soutenir, de réconforter, avec sincérité et authenticité dans ces moments indicibles.
David, le jeune et brillant médecin chercheur d’alors, qui ne pensait pas qu’il serait un jour confronté aux mêmes épreuves, a donc pu voir à maintes reprises le sinistre spectacle de la mort triomphante. En expert, il savait, et pouvait anticiper, comme s’il avait la faculté de  s’élever très haut au-dessus de cette frontière entre vie et mort, au-dessus de cette fragile ligne de vie qui court entre le monde des vivants et le séjour des morts. Il a pu observer, scruter cette approche angoissante de la mort, cet envahissement inexorable, ce délabrement progressif du moi physique et les sursauts de la conscience qui se débat et veut tout de même assister à tout. Il a donc pu à maintes reprises entendre les récits de ces excursions dans l’au-delà et assister au retour de ces survivants.
Et l’extraordinaire, c’est que ces expériences de mort imminente (ces EMI) avaient la vertu, le pouvoir magique d’apaiser les mourants, de leur ôter l’appréhension de ce si redouté passage. Au point même que souvent, ils regrettaient ce retour et souhaitaient repartir là-bas, au bout du tunnel plein de lumière blanche, retrouver leurs chers disparus qu’ils avaient entrevus et qui, ils en étaient sûrs,  les y attendaient.

Mais ces Expériences de Mort Imminente ne sont pas permises à tous. Tout le monde n’est pas Orphée descendant aux Enfers en arracher son Eurydice bien-aimée. La plupart doivent longtemps rester piétiner douloureusement sur les rives du Styx
Aussi, quand par bonheur la douleur se tait, quand le mourant sent que le témoin de son agonie est vraiment là, bien avec lui, pour lui sans le moindre doute possible. Quand donc advient, grâce à la morphine et à la chaleur humaine des mots et des gestes, un peu de quiétude, une rémission dans la souffrance, comme une remise de peine inespérée, une peut-être dernière gorgée de joie, bien plus exaltante que toutes les premières gorgées de bière du temps de la pleine santé, alors le processus de mort peut bien s’accomplir, la mort sera réussie, parce qu’acceptée. Ce sera une belle mort où on aura conservé suffisamment de lucidité pour se rendre compte qu’on sera resté digne. Digne en tout cas d’avoir été soutenu, accompagné par ce jeune Docteur David, digne donc d’être estimé, peut-être même aimé. Dans ces moments-là de paix relative, on peut faire  un tout dernier bilan de soi et de sa vie, on n’est pas très exigeant, et on se contente de bien peu. D’un peu de vrai contact, une main tenue, un front caressé, humecté, des mots qui disent et font du bien. Plutôt que l’affreuse solitude.

David Servan-Schreiber : « On peut se dire au revoir »… si jamais…

Tous voués au sinistre cancer, alors?

On pourrait le craindre, quand on apprend que David Servan-Schreiber, malgré sa vaillance et son long combat (19 ans!) est à nouveau menacé par cette bête immonde qui a élu domicile dans son cerveau. Génial, ce cerveau, promis dès le plus jeune âge au plus billant avenir par son papa, Jean-Jacques (JJSS, que ses amis surnommaient le Kennedy français).

Nous partions ce jeudi 16 juin pour trois jours dans notre île, fatigués par un long, long week-end un peu trop gastronomique, suivi de deux jours de réunionite aiguë. Notre brave Husky nous permet de telles absences sans nous en tenir la moindre rigueur au retour si, en bon chef de meute, je lui ramène bien la viande promise. En route, une halte de réapprovisionnement en lectures à Saintes, où je repère ce petit livre dont le titre effraie d’emblée et rassure tout de même un peu. On se dit que la longue lutte que l’on sait n’est pas finie, que l’immense courage face à la « camarde » que chantait Brassens, ne fera jamais défaut :

Et dès la première page, quelle émotion :

« C’était le 16 juin de l’année dernière… »  – Un an jour pour jour, donc, en ce 16 juin 2011. – « … J’avais passé une IRM, et le résultat n’était pas brillant. Les résultats montraient une boule gigantesque, tout infiltrée de vaisseaux, qui remplissait dans mon lobe frontal droit la cavité creusée par les deux opérations que j’avais subies bien des années auparavant. »

L’acharnement du malheur donc, le retour de la mort qui retrousse les dents et menace à nouveau. Alors qu’on croyait bien l’avoir jugulée. À force de volonté, d’intelligence, de courage, de vouloir survivre, vivre encore. Non pas égoïstement, mais pour mieux partager avec nous tous cette expérience exceptionnelle, d’une longue lutte avec au bout la victoire espérée, entrevue, que l’on a toujours crue possible, en laquelle on croit encore, malgré deux rechutes et deux très lourdes interventions.

David Servan-Schreiber, j’ai pour lui, nous avons tous pour lui, et plus que jamais, beaucoup de tendresse et de reconnaissance. Pour tout ce qu’il nous a enseigné. Tous ces savoirs, ces compétences d’un savant, et peut-être surtout ces attitudes modelées par un courage indomptable et une grande dignité, celle de l’homme qui, à sa façon, triomphe toujours de la mort qui le guette – c’est sa vocation, et le  cancer est un de  ses plus dévoués et sinistre auxiliaires – Même si elle finit par l’emporter.

Et David, face à ce Goliath tout puissant, ne se voile pas la face. Même s’il ferme les yeux et refuse de voir les images de ce qui se révèle être, non un œdème, mais « une méchante tumeur ». Il ne veut pas voir, mais « tout savoir… » (de ce regard scrutateur de l’intelligence) « … sur elle pour pouvoir me défendre au mieux ».

Cette réplique, cette nouvelle terrible secousse, c’est peut-être « the Big One » redouté des californiens. Eh bien non! il ne sera pas dit que « Celle-là, je n’y arriverai pas ». David convient qu’il y a là « du déni », mais affirme que ce déni est positif, salutaire : « Toute ma réflexion me conduit à penser que ce qui « aide à vivre » aide en fait la puissance de vie inhérente à tout organisme vivant. Et, inversement, tout ce qui ronge l’envie de vivre diminue nos capacités de guérison. »
« Pour être tout à fait honnête, une partie de moi s’était mise à croire – en douce – que ça ne reviendrait pas. Mais la partie la plus raisonnable n’avait jamais cessé de se dire : « Ça reviendra. » Et elle ajoutait : « Quand ça reviendra, on gérera. » Et c’est ce que j’ai fait… »
…Après le test « du vélo » qu’il raconte joliment en pp 12 et 13…

Et David, se bat, vaillamment. Épuisé, il participe pourtant au Mans à une conférence internationale sur.. la fatigue. Surmoi, quand tu nous tiens, …tu nous surmontes bien… Il va subir à Cologne, où il est coincé par l’urgence, une Nième intervention au cerveau. Très entouré – son épouse enceinte, ses quatre frères, une vingtaine de cousins, une foule d’amis -, il étonne par son courage : « J’ai tout de suite su, sans l’ombre d’un doute, que j’allais faire ce qu’il fallait ». Et il proteste : « Ce n’est pas de l’héroïsme de ma part. Je pense que le découragement s’installe quand la souffrance dure trop longtemps. Ou les nausées, l’invalidité, l’humiliation – qui sont toutes des formes de souffrance. J’ai réussi jusqu’à ce jour à les éviter en grande partie. J’espère que cela durera. »

L’anesthésie l’effrayait, par la crainte de ne pas se retrouver. Sitôt réveillé, il fait sur son drap « des gammes » de sa main gauche « pour vérifier qu’on ne m’avait pas enlevé trop de choses importantes dans mon lobe droit. Quand ma main avait obéi, j’avais éprouvé un énorme soulagement. »

À Louvain, on lui concocte un vaccin original, très innovant : On dérive la circulation sanguine du patient, sépare les globules blancs des rouges avec une centrifugeuse. Puis on confronte ces globules blancs avec l’ennemi, la tumeur qu’on avait mise de côté. Très vite, ils sont sensibilisés à ce danger, et une fois de retour dans l’organisme, ces vaillants marins vont se jeter, pleins d’une force acquise, sur la moindre cellule cancéreuse qui rappelle le combat mené hors des vaisseaux. Ça marche (20% de réussite complète), foi de Pittsburg – et de Louvain, une fois – sauf que cette fois, la nouvelle tumeur, (en dépit – ou à cause) de l’implantation de billes radioactives dans le vide laissé par l’ablation et chargées des finitions délicates en cas de malencontreux oublis, cette tumeur était une mutante. C’est d’ailleurs ce danger de mutation que l’on craint quand on tente de trouver un vaccin contre le sida et qu’on en titille le virus pour l’affaiblir et le rendre vulnérable aux défenses naturelles de l’organisme.

Il va donc falloir, dès la seconde IRM de contrôle, une nouvelle opération ! Et on prépare un autre vaccin ! Et on a toujours, malgré la peur lucide, un énorme courage. David  est dans l’année de ses 50 ans. Cela fait presque 20 ans qu’il se bat et tient à distance la mort qui menace encore et encore.
Et comme tous les survivants ( il en est, puisque la survie, dans 98% des cancers de ce type, ne dépasse pas 6 ans!), sa maladie l’a oublié parce qu’il s’est oublié et qu’il s’est consacré aux autres, à la prévention du cancer par une alimentation et un style de vie appropriés.

« Guérir » et  « Anticancer » sont ses ouvrages précieux qui racontent l’expérience douloureusement acquise par David Servan-Schreiber et sa compétence dans le domaine de l’alimentation.

Tenez, lisez ici https://toutpetits.wordpress.com/2008/10/06/4-manger-dr-serge-renaud-david-servan-screiber-dr-beliveau/
et là encore : https://toutpetits.wordpress.com/2008/10/07/la-soupe-anti-cancer-du-pr-richard-beliveau-et-le-choeur-des-souris-quasi-gueries/

Vous retrouverez dans ces articles deux autres « grands » de ce combat farouche contre le cancer, le Pr  Belliveau et le Dr Gingras. Je reprends, – je me cite :

« Quelques-unes des découvertes essentielles de ces trois chercheurs :
« – Nous sommes tous potentiellement cancéreux (à 98% révèlent les biopsies d’organes sains)
 : dès l’enfance, sans doute dès la naissance, nous avons en nous des germes, des « graines » de cancer, des cellules qui pourront se différencier et se mettre à se multiplier de façon anarchique, illimitée, des cellules immortelles, qui refusent de mourir, ne savent pas mourir comme les braves cellules « normales » qui par leur sacrifice et leur renouvellement « normal » assurent croissance et vie – « si le grain ne meurt » – , et qui toutes restent là, squattent et encombrent de plus en plus, et du coup, torturent en lésant les terminaisons nerveuses, et telles des affamées sans vergogne vont coloniser des zones saines de l’organisme et finir par détruire le corps (animal et même végétal) qu’elles parasitent »

David Servan-Schreiber pense lui aussi qu’un des secrets de la future victoire réside dans l’alimentation en particulier, et plus généralement dans la « gestion » de nos organismes, de nos défenses, de nos vies.
D’ailleurs ce langage de gestionnaire c’est celui qu’il emploie quand il a la certitude de sa rechute : « Je me suis mis presque immédiatement en mode gestion »
Et il affirme catégoriquement « Anticancer » n’a rien perdu de sa validité ».

Mais je pense que le bébé qu’attend sa femme Gwenaëlle est pour beaucoup, aussi, dans ce farouche désir de vivre.
« J’ai décidé de ne pas aller en maison de repos pour ma convalescence. Ma femme était sur le point d’accoucher et je tenais absolument à être présent pour la naissance de ma fille Anna . Cette magnifique aventure, je voulais en être. »

(À suivre)

Métastases de la douleur morale

Les métastases véritables, ces ricochets du sinistre cancer, ces délocalisations d’une entreprise de mort devenue trop prospère, génèrent de nouvelles douleurs – physiques – souvent plus terribles encore que celles dues au cancer initial.

Le spectacle ou la connaissance d’une telle douleur physique qui frappe  un ami mobilise notre compassion et induit en nous une douleur morale, psychique, une douleur qui n’a rien de physique, qui ne nous atteint pas dans notre corps – quoique les somatisations sont là pour me démentir.

Ces douleurs-échos, ces retentissements en nous de la douleur des autres – même leurs douleurs psychiques – ces souffrances fantômes, ces symptômes masqués – nous atteignent individuellement au physique et au moral, mais aussi collectivement et  font souffrir le corps social auquel nous appartenons.
On peut dire qu’il y a des somatisations sociales, qu’une société entière ou des groupes sociaux peuvent tomber malades de trop de souffrances individuelles, infligées ou reçues. On imagine aisément les maladies d’angoisse des populations juives au point de les paralyser et de leur faire perdre souvent leur lucidité et donc toute initiative efficace de fuite quand il en était encore temps. De même les culpabilisations des « héritiers » des bourreaux allemands, des collaborateurs ( « exécutants » actifs ou simples rouages inertes de sélections, de transmission passives des ordres criminels). Ces sociétés-là ne peuvent guérir seules et il leur faut le « pardon », la compréhension de groupes plus vastes et surtout plus jeunes.

La souffrance morale peut aller jusqu’à être comme un cancer sournois qui s’insinue dans les replis de nos inconscients, qui fatigue et épuise sans qu’on comprenne d’où nous vient tant de lassitude et d’indifférence pour l’action, les projets, et qui bientôt émerge par poussées dans nos consciences soudain douloureuses. Alors un dysfonctionnement organique ou une douleur physique surprenants par leurs localisations prennent le relais en justifiant les inquiétudes, les angoisses sans raisons apparentes préalables.
C’est le génie de Freud et de sa psychanalyse d’avoir découvert le sens caché, la signification réelle de phénomènes, de manifestations, de comportements apparemment dénués de sens. Et que ce sont justement ces signes les plus « fous » qui sont la voie royale qui mène au sens caché et qui donnent une cohérence à des comportements apparemment illogiques.
Ainsi cette femme qui rêve de l’achat d’un  coûteux et beau grand chapeau noir souhaite par là, en réalité, séduire un jeune et riche ami, prouver alors sa richesse, et surtout enterrer son vieux et gênant mari… Son rêve condense ces trois désirs refoulés inacceptables pour la morale, le surmoi. Il les ficelle en un paquet d’allure inoffensive : elle peut le montrer (le raconter) , en rire même puisqu’il est étonnant. Mais c’est un paquet explosif qui serait dangereux s’il était déficelé sans précautions : il faut toute une science analytique pour en révéler, peu à peu, lentement le sens caché tant il  a de résistances, à laisser mettre l’inacceptable sous les sunlights de la conscience.

Le symptôme acceptable peut être une sorte de punition, de gêne, que l’on s’inflige et qui s’inscrit dans le corps et les comportements quotidiens. Ainsi je pourrai me mettre à bégayer ou carrément devenir aphone tant je crains inconsciemment que mes mots me trahissent. Et je peux « choisir » la maladie d’un ami cher, en fait parce qu’elle tombe bien et qu’elle gênerait, empêcherait même justement des comportements que mon inconscient me reproche tout en refusant de les envisager clairement.
Il est évident que la maladie somatique grave est en quelque sorte l’ultime tentative de notre inconscient pour retrouver son équilibre, et que bien avant ces extrémités, quantité d’autres symptômes bénins tentent de m’avertir, par et dans mon corps, que quelque chose ne va pas trop bien dans ma vie, dans mes manières d’être et d’agir.

Il faut donc en particulier accepter les rêves dont on se souvient et les laisser, dans un état de semi attention, « d’attention flottante » – comme celle du thérapeute qui suit « de loin » les propos de son patient – nous souffler quelques idées associées, qui nous paraissent au premier abord à cent lieues du rêve objectif, mais qui déjà sont peut-être une première piste qui pourra mener à une voie plus large, plus directe : une « voie royale » vers notre inconscient.

Il nous faut surtout accepter nos faiblesses, nos ambivalences d’humains toujours tiraillés, écartelés souvent, entre des désirs impérieux et moralement, socialement inavouables, et les idéaux auxquels nous aspirons ou qu’on exige de nous. Sachons en parler. Déjà, ayons la sagesse d’être modestes dans nos ambitions idéales, fuyons le perfectionnisme qui laisse toujours déçu. Laissons vivre notre corps et ses censeurs dans des contraintes raisonnables et sachons être attentif à ses discrets signaux, ses mini alertes. Ne laissons pas monter la pression. Laissons fonctionner librement les régulateurs que sont le rêve, les actes manqués… Sachons être heureux (et malheureux aussi) à petit bruit, à basse pression. On rejoint ainsi naturellement le principe d’économie de la psychanalyse.

Le traumatisme psychique : une grave blessure mentale

Les causes : une agression d’une violence extrême : guerrière, civile, climatique…
C’est encore un tout petit livre précieux, de 60 pages à peine, qui nous informe de ces traumatismes sévères et de leurs possibles conséquences graves : la névrose traumatique et le syndrome de répétition qui la signe et l’inaugure.
« Le traumatisme psychique » par François Lebigot. Collection Temps d’Arrêt / Lectures (Éditions Fabert) http://yapaka.be/

Le trauma
La peur, l’angoisse, le stress, la douleur morale : voilà des souffrances psychiques que la vie moderne nous inflige de plus en plus souvent, mais que nous parvenons à gérer et endurer tant bien que mal.

Mais le trauma – blessure en grec ancien – est une agression d’une tout autre envergure. François Lebigot, psychiatre militaire, va nous aider à y voir plus clair :
D’emploi d’abord médical et chirurgical, le traumatisme a vite servi dans le domaine de la souffrance mentale. En 1888, Oppenheim définit déjà une « névrose traumatique« . Ces névrotiques étaient victimes d’une grand frayeur, conséquence fréquente alors des accidents du tout nouveau chemin de fer. Des cauchemars suivaient l’accident et étaient parmi les symptômes probants.
Kraepelin, décrit, lui, une « névrose d’effroi« , très proche de la névrose traumatique. Le choc psychique n’exigeait pas d’avoir subi le choc matériel de l’accident : il suffisait d’en avoir été le témoin, ce qui souligne le pouvoir de l’imaginaire, de l’empathie.
Au début du XXème siècle, ce sera la convergence de la 1ère guerre mondiale, grande pourvoyeuse en traumatismes observés par les médecins et psychiatres militaires, et de la  psychanalyse naissante ( Abraham et Ferenczi d’abord, Freud entre les deux guerres mondiales), qui fera mieux comprendre les névrose traumatiques et progresser leur clinique. Les deux premiers ont souligné la blessure narcissique infligée par le traumatisme et Ferenczi la prise de conscience de « la fin de l’illusion d’immortalité« . Notez bien l’idée de mort possible présente dans cette prise de conscience.
Après la guerre du Viet-Nam, les Américains vont simplifier et appauvrir la névrose traumatique en la limitant au simple stress qui est un concept très réducteur. et plus commode. François Lebigot (et d’autres psychiatres militaires) vont montrer combien les atteintes liées aux traumas sont infiniment variées et méritent une grande attention et des soins vigilants pour ne pas dégénérer en névrose traumatique « installée ».

La clinique du traumatisme psychique.

La victime du traumatisme voit littéralement la mort, sa propre mort, son anéantissement. F. Lebigot parle alors du Réel de la mort et rappelle que Freud, toujours plein de bon sens, fait remarquer que nous savons bien tous que nous allons mourir un jour, mais que nous n’y croyons pas!!
Quand survient l’évènement traumatisant, le choc, alors là, c’est la révélation, c’est la mort qui me rejoint, ma mort à moi. C’est ma fin, je ne suis déjà plus rien, je suis anéanti. C’est une certitude.
Surtout si je suis directement concerné : je suis dans le TGV que je sens dérailler… Je vois l’énorme poids lourd qui dérape et fonce sur ma petite voiture… Je perçois la déflagration du kamikaze qui saute tout près. J’entends le grondement terrible de l’avalanche, du tsunami gigantesque… L’œil d’un fusil me fixe… Mon échafaudage bascule… Notes bien : toujours une sensation.
Comme on voit, la vie moderne avec ses tensions extrêmes multiplie ces risques de confrontation possible pour chacun avec sa propre mort. Chacun de nous, on le sent bien, peut être concerné par le traumatisme psychique, avec les nouvelles violences des dérives terroristes, climatiques…
Dans d’autres cas, c’est quelqu’un d’autre que moi qui meurt, et sous mes yeux. François Lebigot rapporte le cas de deux casques bleus français à Sarajevo. L’un d’eux voit soudain une tache rouge sur le front de son camarade qui tombe tué sur le coup, par un snipper sans doute. Cette vision soudaine de la mort d’un autre sera cause de cauchemars où la vision et la scène surgiront, identiques.
Autres cas de traumatismes graves pour les témoins: la découverte de morts horribles, de corps déchiquetés, brûlés… dans des carambolages autoroutiers… l’exhumation de charniers… l’ouverture des camps de concentration…
L’effroi caractérise le traumatisme psychique, comme sont de règle la soudaineté et l’effet de surprise.
Il y a comme une perte de conscience, « un arrêt sur image », un blanc, un trou… Panne momentanée des sensations mais aussi des sentiments, des affects : « Je n’ai même pas eu le temps d’avoir peur« , dit cet homme mis en joue… et l’arme qui le regarde s’enraye!!
À l’instant du choc traumatique, il y a toujours une perception sensorielle : bruit, odeur, vue… Et c’est souvent une sensation du même ordre qui sera au départ de la réactivation du trauma, sa répétition, parfois après des décennies, identique au vécu, au ressenti premier.

Le travail de conceptualisation, de représentation de François Lebigot prend appui sur la théorie freudienne.
Ainsi le trauma est une véritable effraction de l’appareil psychique qui héberge alors comme un corps étranger enkysté au plus profond de l’inconscient, qui surgit soudain en cauchemars nocturnes ou en reviviscences diurnes tout aussi fidèles au « modèle » originel.
On comprend que l’aide à apporter aux victimes de ces traumatismes soit bien sûr immédiate, puis post-immédiate et parfois souvent longue quand s’installent les perturbations de la névrose traumatique, en particulier l’inévitable sentiment de culpabilité du survivant. Le débriefing – un terme militaire – rappelle qu’il faut faire le point comme après une opération, mais il concerne alors des témoins, des rescapés, dont on ne sait pas toujours jusqu’à quel point ils ont été atteints psychiquement et dans quelle mesure ils sont capables, surtout en groupe, de s’exprimer, de verbaliser leurs angoisses, leurs fragilités.
En tout cas ce tout petit livre – François Lebigot en a écrit d’autres sur ce sujet – est précieux. Parce qu’il est écrit dans une langue limpide et qu’on sent en lui, outre la compétence du psychiatre d’inspiration psychanalytique, la profonde humanité propre aux urgentistes, aux secouristes intervenant dans les grandes catastrophes. Si le monde militaire multiplie les circonstances propices aux traumas, les temps modernes font des civils les victimes de plus en plus fréquentes d’attentats terroristes, de périls nucléaires, de folies climatiques, de séquestrations…



C dans l’air : des propos pas du tout en l’air

« C dans l’air », l’émission d’Yves Calvi : compétences et pédagogie.

Voilà une émission de France 5, encore une, particulièrement enrichissante. Par la qualité des « invités qui ont accepté d’y participer » comme répète invariablement Yves Calvi.
Ses invités sont des experts dans leur domaine. Voyez, sur le site remarquable de l’émission, les biographies de l’ensemble des invités, rangés par ordre alphabétique – on ne peut faire plus neutre. Pour ce qui est de la politique et de l’analyse qui en est faite, c’est – pour moi en tout cas – un régal, une gourmandise intellectuelle, d’écouter Christophe Barbier, Renaud Dély et Raphaëlle Baquet…, sans oublier le remarquable et très scrupuleux Antoine Sfeir, au visage tourmenté. On reproche bien sûr à Yves Calvi la rareté des femmes invitées. Par sa compétence en matière de sondages et d’analyses politiques, Roland Cayrol, par exemple, a bien sûr un grand pouvoir, une influence certaine sur nos opinions.
Cependant, l’ensemble des  quatre ou cinq invités sur un même plateau quotidien sont d’opinions diverses, et surtout, « en représentation » et en relative concurrence. Et comme ils tiennent à leur notoriété, très souvent ils donnent le meilleur d’eux-mêmes dans ces débats en direct (ainsi dans cette toute récente émission « Les « monstres » existent-ils ? », où un des experts psychiatres ne peut se retenir de lâcher quelque chose comme « Je vais dire ici quelque chose que je ne devrais pas dire » . C’est d’ailleurs sur cette émission, d’une actualité terriblement douloureuse et lamentablement exploitée, que je vais revenir dans le prochain article. Il arrive ainsi, souvent, aux experts invités emportés par le débat ou la force de leurs convictions intimes, de laisser échapper alors des informations autrefois réservées aux seuls initiés.

Et assurément, nous apprenons beaucoup. C’est une véritable culture citoyenne qui nous est offerte chaque jour, en commentaire de l’actualité, vers 17h 45 et reprise en soirée vers 22h 25.
Nous progressons, c’est sûr, au fil des émissions dans nos jugements et opinions, – et dans nos éventuelles critiques de l’émission.
France 5 doit assurément son succès mérité à ce pari sur l’intelligence et la culture.

Des émissions qui restent disponibles en permanence en archives sur le site.
C’est cette richesse, cette excellence et cette générosité – comme une université sociopolitique ouverte à tous, une véritable institution – qui me séduisent.

Une atmosphère studieuse de pédagogie efficace.
Combien de fois n’entend-on pas Yves Calvi protester de son incompréhension et faire le naïf, l’élève moyen de la classe qui ne pige pas tout et qui harcèle le professeur de questions, en notre nom, nous le téléspectateur moyen, comme lui feint de l’être.
Et avec quelle énergie, il cadre les débats et tente d’éviter tout débordement, dans les propos comme dans l’horaire!

Voyez tous les liens du site C dans l’air et vous serez vite convaincus de l’excellence de cette émission véritablement formatrice.

C’est une émission particulière qui a déclenché mon envie de vous faire partager mon estime pour cette production de France 5, comme déjà je vous ai  dit tout mon intérêt pour « Empreintes ». Ce « C dans l’air » du 3 février, que j’ai déjà évoqué plus haut dans cet  article, est d’une intensité dramatique exceptionnelle, puisque il touche à des comportements individuels aberrants qui pourraient faire douter de notre humanité.
Voyez donc la vidéo qui aborde cette question sociale existentielle « Les « monstres » existent-ils ? ».
Je reviendrai tout spécialement sur cette vidéo et sur les questions obsédantes qu’elle nous pose. En particulier, comment peut-on en arriver à de pareilles indignités ? Comment notre société génère-t-elle ces adultes qu’elle vit comme des « montres » une fois leurs passages à l’acte et leurs abominables crimes commis ?

Le mur de Bébé : 1- Bernard Martino

En terminant le précédent article découragement »), je vous disais mon bonheur d’avoir redécouvert (en brocante !) Bernard Martino, à travers un livre d’abord (« Le bébé est un combat ») et aussi la vidéo VHS de « TF1 vidéo » : Le bébé est une personne.

Le Bébé Est Une Personne de Bernard Martino - VHS  Le Bébé est un combat

Bernard Martino et son formidable « Le bébé est une personne » que nous avions tous plus ou moins intégré, au point que l’expression nous semblait être une évidence, comme un des éléments essentiels de notre culture. Il est vrai que Dolto, Brazelton, Spitz… nous avaient déjà plus que convertis au respect des tout petits.

Mais le film de Bernard Martino – ces Bébés si vivants, si humains, si proches de nous adultes – venait comme une démonstration désormais irréfutable, au point que ceux qui persisteraient à ne plus en être persuadés feraient figure de tristes négationnistes.

Du mur de Berlin au « mur de Bébé ».

Hier soir, je suivais, comme beaucoup, les cérémonies de commémoration de la chute du mur de Berlin. Et à la vue de ce mur de dominos géants qui tombaient peu à peu, comme autant de freins à la liberté – enfin levés, comme autant d’obstacles – enfin abattus, au respect de la personne de chaque Berlinois, j’ai soudain fait le rapprochement avec tous les freins, tous les obstacles qui longtemps, bien trop longtemps se sont opposés au respect des tout petits, à leur reconnaissance en tant que personnes.

C’est que je venais de lire le remarquable ouvrage de Bernard Martino « Le bébé est un combat ».

Ainsi donc, la reconnaissance en tant que personne du bébé ne suffisait pas.
Il restait encore des combats à mener, des conquêtes à confirmer, un mur à abattre, un mur d’indifférence, d’insensibilité, de silence.

Deux évènements médiatiques, humains, exceptionnels, à  quelque 10 ans d’intervalle, 2 livres, 2 séries de  3 émissions d’1 heure sur Tf1 :

–          Le bébé est une personne (1984)

–          Le bébé est un combat (1995)

Et chaque fois un immense succès d’audience.
Les ouvrages écrits
correspondants, précieux compléments très fidèles aux documentaires, le premier (« le bébé est une personne ») a été un très grand succès de librairie, mais le second (Le bébé est un combat) n’a pas connu, me semble-t-il, le même succès, et la vidéo du film des trois émissions de 1995 est introuvable.

« Le bébé est un combat » : quelques citations de l’introduction de Bernard Martino.

–          « [ Je me désolais de voir que] ce titre … qui exprimait si parfaitement ce qu’il me semblait essentiel de dire au sujet du bébé en 1995, suscitait de si fortes résistances. »

–          « L’idée que le bébé est un combat ne peut se comprendre sans faire référence au Bébé est une personne. »

–          « Le bébé est une personne » est pour ainsi dire tombé dans le domaine public et ce qui n’était au départ que le titre d’une émission de télévision est devenu un mot d’ordre, un signe de ralliement, presque un slogan. Un peu l’équivalent, dans le champ de la petite enfance, du « touche pas à mon pote » de S.O.S.-Racisme dans le domaine sociopolitique. »

–          « Le bébé est une personne, ce n’était pas non plus une émission « médicale ». C’est-à-dire ce type d’émissions animées par des gens que l’on sent plus proches des médecins qu’ils interviewent que des usagers de la Santé que nous sommes. Des émissions dont la malade est plus l’objet que le sujet. Des émissions toujours respectueuses, jamais critiques vis-à-vis du discours médical. »

–          « On l’aura compris, la notion d’un combat à entreprendre ou à poursuivre, autour du bébé ou à partir du bébé, était déjà présente en filigrane dans Le bébé est une personne. Force est de reconnaître qu’il ne s’agissait nullement d’une émission pacifique et consensuelle. »

« [Ce qu’]il était tentant d’ignorer, c’était la découverte, vis-à-vis de ce petit être, de responsabilité nouvelles qui s’imposaient à nous, qui nous engageaient tout entiers ; qui impliquaient […] un minimum de remises en question. »

–          « Faire que le bébé soit reconnu comme une personne fut en soi un rude combat.

–          « Mais il est un autre combat, très actuel celui-là, beaucoup plus difficile à mener parce que moins évident, plus subtil : le combat pour que chacun d’entre nous, et cela suppose une vigilance de tous les instants, traite effectivement le bébé comme une personne. Ce qui signifie s’évertue à lui épargner toutes sortes de souffrances jadis ignorées ou niées dans la diversité des situations qu’il vit.

Comme un mur de silence, une mise à l’index, comme une censure discrète ?

Ces évènement médiatiques qui datent de 25 et 14 ans, mais qui sont inscrits dans les mémoires de celles et ceux qui les ont vécus ou qui ont pu les revoir, n’ont semble-t-il pas été du goût de tout le monde.
Nous verrons bientôt – (prochain (s ?) article (s) )- à quel point ils furent subversifs et donc vécus comme dangereux, par des professionnels de la Santé, pour le train-train routinier, le confort adulte de certaines pratiques médicales dans les soins apportés aux tout petits souffrants.

LORSQUE L'ENFANT PARAIT INTEGRALE DE L'ANTHOLOGIE RADIOPHONIQUE Ces émissions et leurs supports médiatiques (livres, VHS, DVD…), je les situe très exactement sur le même plan que les émissions de Françoise Dolto de 1976-1977, immense succès d’audience et de librairie, reprises récemment en une édition du centenaire, l’anthologie radiophonique en 6 CD « Lorsque l’enfant paraît ».

À Dolto comme à Martino, les critiques n’ont pas été épargnées. En particulier d’une certaine incompétence, elle par trop de psycho pédagogie, lui par manque de formation médicale.

À Françoise Dolto :

–          Pour avoir en quelque sorte démocratisé, partagé, mis généreusement à la porté du plus grand nombre son immense savoir, son immense expérience relationnelle avec les tout petits en souffrance et leurs parents.

–          Pour avoir ainsi révélé bien des « secrets » des pratiques psychanalytiques, pour avoir voulu faire œuvre pédagogique, pour avoir enfreint la sacrosainte réserve psychanalytique, le long silence des séances de cure censé laisser s’accomplir le travail d’émergence dans le champ de la conscience des anciens conflits refoulés.

À Bernard Martino :

–          pour être allé encore plus ouvertement plus loin sur les chemins de la pédagogie généreuse, de la démocratie vraie, de la critique délibérée et irréfutable de pratiques pour lui révoltantes – et pour beaucoup de nous désormais – de non respect des tout petits.
Ainsi, on peut dire que Bernard Martino a contribué (avec d’autres), à fissurer, à abattre par places, ce « mur de Bébé », un mur fait d’enceintes multiples  dont les matériaux étaient – et sont peut-être encore – le mépris, l’irrespect, la négation, le ravalement au rang d’objet.

L’œuvre multimédia de Bernard Martino, il est difficile de se la procurer.
Rien, inconnu au CDDP de mon département (16), et même au CRDP !
Pas un article sur Wikipedia qui lui soit directement consacré, bien qu’on puisse l’entrevoir par le biais d’autres articles (Dolto, Loczy…).

TF1 vidéo ne le connaît plus.

Restent les brocantes et sans doute quelques bibliothèques de maternelles, de crèches.

Croyez-moi, cette raréfaction est preuve de qualité, et procurez-vous, si vous ne les avez déjà, un maximum des œuvres de Bernard Martino. Elles vous transformeront en changeant définitivement votre regard sur la petite enfance.

(À suivre)

PER (Programme pour l’Épanouissement et la Réussite)

Le PER, un PEi dédié à la Petite Enfance, au Tout Petit.
Revoyez d’abord le précédent billet : Je recopie ici les deux lignes des sources de mes déjà (bien trop) longues réflexions :

Cela fait déjà bien longtemps que je tourne autour de cette idée venue du PEI du génial Feuërstein.

Le PEi a un i ambigu à l’ambiguïté savamment entretenue.
Le « E » et le « i » du Programme qu’est le PEi de Feuërstein, signifient « Enrichissement instrumental ».Ils vont bien sûr, au bout du compte, dans le sens d’un accroissement de l’intelligence, de l’efficience, du rendement, mais indirectement, grâce aux outils, aux « instruments » dont il enrichit ceux qui en bénéficient. Et c’est à cet enrichissement instrumental que visait d’abord Feuërstein : Sa vocation a toujours été le dévouement à la cause de cas souvent désespérés – un peu à la manière de Bettelheim qui ne recevait dans son École Orthogénique de Chicago le plus souvent que des « cas » refusés, rejetés de partout ailleurs.
Mais on comprend que cet aspect utilitaire, cet aspect efficience, efficacité, rendement intellectuel ait pu en tenter beaucoup, et qu’on se soit ingénié à en faire un outil quelque peu élitiste, pour tout dire souvent très loin d’être gratuit, et d’empêcher de bien mettre en œuvre sa vocation essentiellement préventive.

J’ai toujours cru en la prévention, en une possible générosité préventive qui ne permet pas que surviennent des aggravations, des détériorations difficilement réversibles. Mais quand il est déjà un peu trop tard on appelle au secours des urgences curatives et on est prêt à bien des sacrifices.

Il faut bien se pénétrer de cet esprit de prévention : là se trouve la vraie générosité, là se rencontre la pédagogie authentique des passeurs de savoir faire et de mieux être.
L’argent compromet, pervertit tout dès qu’il perd sa vraie vocation d’investissement.
Françoise Dolto a toujours été une extraordinaire pédagogue, d’une générosité sans égale : ses petits analysés la « payaient » d’un menu objet, un marron par exemple, un ticket de métro périmé, peu importait, seul comptait le geste. Ce geste était symbolique et signifiait un accord, un engagement de l’enfant, un vrai investissement, bien qu’en fait gratuit : « J’accepte ton aide, j’en ai besoin, je la veux… et ce petit rien que je n’ai pas oublié d’apporter pour toi seule, il est un peu comme un objet transitionnel qui signifie que j’entre dans ton monde, dans notre monde d’échanges symbolique, car je sens bien qu’en retour je recevrai de toi infiniment plus que je ne peux te donner, sécurité relationnelle et confiance retrouvée dans l’autre. »
Et sa longue série d’émissions sur France Inter, par la suite éditée, (papier, CD, DVD), que de fureurs n’a-t-elle pas provoquées chez nombre de ses chers confères en psychanalyse ! Je crois bien que tout simplement on lui reprochait de donner des solutions, des trucs, des recettes, pas seulement pour guérir dans l’urgence l’enfant (et les parents) du cas évoqué, mais aussi pour prévenir chez bien d’autres la survenue de perturbations dans la relation, dans l’efficience, dans les attitudes. Car il y avait toute une foule de parents auditeurs qui l’écoutaient avec vénération leur dire, leur expliquer, leur démontrer, ce qui malheureusement peut arriver, et comment, souvent tout simplement, par l’écoute et la parole aimantes on peut faire que ça n’aille pas plus mal, que ça aille mieux, et même, surtout, que ça n’advienne jamais, à nos petits à nous, toute cette souffrance dont cette grande dame parle avec le gentil Jacques Pradel.
Thierry Janssen, lui, a interrompu sa carrière de chirurgien urologue, pour mieux « se reprendre », se ressaisir, se ressourcer, lui aussi a toujours voulu expliquer, démystifier, mettre à portée de tous dans une langue limpide les concepts les plus ardus, au point qu’on l’appelait « Thierry J’enseigne ».
Repensez aussi à J.-D. Nasio, à la force de sa vocation, revoyez ses seuls titres : « Enseignement de 7 concepts cruciaux de la psychanalyse » / « Introduction aux œuvres de Freud, Ferenczi, Grodeck, Klein, Winnicott, Dolto, Lacan » / « Le plaisir de lire Freud », toujours ce désir, ce besoin de transmettre, de faire passer, de partager ses enthousiasmes, en expliquant par le menu, au besoin en créant de nouveaux concepts plus clairs.

P.E.R. : Programmé pour l’Épanouissement et la Réussite.
Aussi, je voudrais que vous repreniez la série déjà fournie des articles du blog qui approchent, tentent de cerner ces notions, ces principes de base, qui font que le petit d’homme, de tout temps et en tous lieux, de la préhistoire à nos jours et sous toutes les latitudes est sans aucun doute possible programmé pour s’épanouir et réussir.

Ainsi, avec en arrière-plan ces principes du PER, sur cette base d’une programmation génétique pour l’épanouissment et la réussite, nous allons désormais nous consacrer surtout aux MER, à la réalisation, à la mise en œuvre.

Vie réussie : vie parlée, vie écoutée

Il n’y a pas de vie parfaitement réussie, à l’aune du seul bonheur, qui ne peut être constant.

Et heureusement sans doute.
Car ce sont les inégalités, les aspérités, les secousses du parcours de la vie qui font prendre conscience de l’acuité du bonheur des moments heureux, de la profondeur des moments de doute, de désespoir.

Quand on est sorti du « creux » d’une des vagues de la vie, on mesure le prix de l’apaisement revenu, de la quiétude retrouvée, de la maîtrise de soi reconquise, et on sourit de ses faiblesses, de ses doutes passés.
Très vite, très tôt, il faut faire prendre conscience à nos petits, à nos tout petits, des sensations d’apaisement, de bonheur retrouvé après une épreuve, une douleur, une appréhension.
Leur apprendre à savourer, à reconnaître le plaisir, le bonheur.
Il faut leur dire le plaisir, le bonheur, les sensations de bien-être, de mieux-être.
Le parler vrai ne doit pas être réservé qu’aux difficultés, à la douleur, à ce qu’on a tendance à éviter, à refouler.

Il y a des mots tout simples du bonheur et du plaisir expliqués, traduits, partagés.

Le plaisir et le bonheur sont des droits.
L’évitement des peines, douleurs, malheurs, est un devoir
.

Nous sommes nés « équipés » pour savoir, pour pouvoir éprouver bien des bonheurs simples. Et aucun de ces merveilleux équipements sensoriels que sont la vue, le goût, l’odorat, le toucher (le contact, les caresses, l’exercice musculaire…) ne devrait être censuré, interdit, réprouvé. Tout devrait être appris, reconnu si éprouvé.
Certes, il y aura peu à peu une « éducation », une sublimation des plaisirs, l’apprentissage d’une hiérarchie des plaisirs, un affinement de leur gamme acceptée, tolérée, recommandée par notre culture, nos habitudes familiales, sociales.

Mais rien d’emblée ne devrait être censuré. Un corps est fait pour parler, informer, renseigner sur la couleur, la tonalité de la vie, la vraie vie vécue, éprouvée. Un corps est fait pour être écouté, le corps à soi avec sympathie, le corps des autres avec empathie.


Notre corps ne cesse de nous parler. Son langage, tous ses langages, devraient être appris peu à peu comme une première langue précieuse, indispensable. Une langue bien antérieure à la parole. Une langue pratiquée dès avant la naissance.

Respectons la parole du corps. Et d’abord celle du corps de nos tout petits.

Un corps parle toujours vrai, qu’il dise le plaisir ou la douleur, qu’il joue une partition harmonieuse ou discordante, agréable ou déplaisante pour soi ou pour l’entourage.

Soyons, nous adultes, les interprètes pour nos tout petits, de ce que leur corps leur dit, leur raconte, leur murmure, leur conseille ou leur déconseille. Racontons-leur ce que leur corps à eux, tout petits, a la gentillesse, « l’intelligence », de nous raconter à nous adultes qui sommes certes des dieux tout puissants mais qui ne saurions peut-être pas tout lire sans cette confiance d’un corps qui sait qu’il peut parler librement.
Oui, il y a une intelligence du corps, qui dès avant la naissance et tout au long de la vie sait parler à sa façon, souvent immédiate et pertinente.

Un bain linguistique corporel.
Cette merveilleuse langue du corps, des corps, nécessite un apprentissage, une familiarisation, une imprégnation, un bain linguistique, un peu comme pour une langue étrangère
Il faut que l’enfant, très tôt ressente cette communion linguistique, cette quasi identité des sensations éprouvées, (par les humains mais aussi par les animaux), de la gamme infinie des joies, satisfactions, plaisirs, jouissances, mais aussi des déplaisirs, peines, désagréments, douleurs…, que nous, adultes, éprouvons nous aussi ce qu’eux enfants non parlants ou encore mal parlants ne savent pas bien démêler, discriminer, qu’ils ne savent pas encore ou suffisamment bien « mettre en mots ».

Traduisons en mots vrais les sensations vraies que nous savons bien, que nous voyons bien, que notre tout petit éprouve, que nous reconnaissons avoir éprouvées autrefois ou à d’autres moments ou que par chance nous éprouvons en même temps que lui. C’est la moindre des tendresses pour nos tout petits à nous, c’est la moindre des générosités, des obligations pour d’autres tout petits que nous croisons.
Nous serons de bons interprètes, de bons traducteurs, nous qui avons l’expérience, le vécu, si nous n’avons personnellement ni censures, ni tabous, ni interdits remontant à notre propre éducation ( il faut alors apprendre – seul ou non – à s’en libérer), ne plus avoir de préjugés, de dégoûts devant les « propos » souvent très crus, très réalistes des corps.
On devrait toujours parler à un tout petit, toujours lui dire, lui raconter tout ce qui se passe en lui, tout ce qui sans doute va se passer en lui, comme en chacun de nous.

Surtout ne pas s’indigner, ne pas culpabiliser, car rien ni personne ne peut empêcher un corps d’exprimer, de « sortir » ce qu’il a à dire. Si on l’en dissuade, si on l’en empêche, il saura trouver d’autres « langages », d’autres voies, d’autres issues, d’autres sorties de secours – ce sont toutes les somatisations – pour tenter de clamer ce qu’il veut et doit dire pour son équilibre, pour le bien-être ou le mieux-être auxquels il a droit.

Il y a dans tout corps un écosystème qui plonge dans l’écosystème plus vaste du milieu de vie.
Les organes sensoriels, la peau en particulier, en sont l’interface, et les sensations que le corps sait générer sont ce langage primal, vital et infiniment riche et nuancé.


On ne peut faire taire un corps, comme on ne saurait faire taire un inconscient.
L’inconscient sait parler, contourner les interdits, les refoulements, par la voie royale des rêves (que sait remonter en sens inverse le psychanalyste), les propos plus frustres et moins hermétiques peut-être des actes manqués, des lapsus, des jeux de mots, des oublis…
Les somatisations du corps ce sont ses « contorsions », ses détours, ses codes – nous revoilà aux langages – pour parvenir quand même à nous dire, ce qu’il doit « sortir », « exprimer » pour s’en libérer.


Le tout petit ne comprendra pas ces mots ? Peu importe ! Il reconnaîtra la « musique »
, la tonalité heureuse ou désolée, compatissante – pour lui – de vos mots à vous, de ces commentaires vrais, sincères, et « affectifs », que vous faites à chaud de l’évènement que lui seul vient de vivre, de ressentir dans son corps, ou vous que vous seul(e), ou vous deux ou tous ensemble venez d’éprouver.