La rafle : en tête et en projet sur papier

Comment Pétain a annoté la loi sur les juifs en 1940

Image empruntée à L’Express, pour sa relative meilleure définition.

l’Maréchal, le voilà!

Double abus : de faiblesse apparente pour raison de  grand âge, mais aussi de puissance, pour gloire passée
Il avait l’air bien débonnaire ce vieillard d’avant-guerre, bien inoffensif ce papy à la voix chevrotante.
Et il était auréolé de son immense prestige de vainqueur de Verdun : circonstances aggravantes en fait comme l’a bien souligné Denis Olivennes dans l’émission C dans l’air http://www.pluzz.fr/c-dans-l-air-2010-10-05-17h48.html. Il ne pouvait vouloir que le bien de la France.

« Je fais don de ma personne »
Une manière de se livrer en otage? Allons! quand même pas… L’auto-déportation du Maréchal Pétain n’est pas allée au-delà des frontières: Vichy, tout au plus, et plus tard, quand les vents de liberté ont repris à souffler tous azimuts,  très fort d’O-N-O, que le vent d’Est à tourné, quelque excursion obligée en Allemagne : … Du tourisme, donc : Il est allé prendre les eaux dans l’Allier, cet allié de fait de l’envahisseur. À la fin, il a bien fallu,
après les eaux, prendre le large et tenter « la fille de l’air ».
Mais beaucoup ont pu croire, ont cru à une suprême habileté, celle du roseau qui plie, mais ne rompt pas, celle du judoka qui semble tomber mais entraîne dans sa chute l’adversaire.
Ainsi, par l’armistice demandé, Pétain le malin réussit à amadouer le Teuton surpuissant: On le laissera s’installer, on fera mine de collaborer, mais on n’en pensera pas moins, et en fait on préparera la revanche…

On y a cru! Après la drôle de guerre, la drôle de paix : Chaque français s’est installé dans le statut d’occupé plus ou moins consentant, de vaincu plus ou moins résigné. Chacun a tenté de s’organiser dans la pénurie et dans la peur, de survivre là où il était, armé de son légendaire système D.
Beaucoup, tout de même, ont tout de suite flairé le danger, compris l’imposture, et sont entrés en résistance. Certains ont devancé l’Appel du 18 juin 40, ont quitté cette France qu’ils sentaient livrée. Par monts et par vaux, ils sont partis en Espagne d’où on pouvait « sauter » en Afrique, comme à la marelle, par-dessus la petite « mare » de Gibraltar. Mieux valait Gibraltar que jamais… Ou gagner la liberté suprême d’Amérique par delà la vaste mare océane. Bien des Bretons cabochards, bien des Normands toujours grands douteux, ont senti frémir leurs fibres Viking, tous ont eu des démangeaisons dans les rames, et quelques-uns, téméraires, sont partis sur leurs canots se réfugier en Angleterre.

De nombreux  Juifs, malgré leur longue accoutumance à la haine et au malheur, plus lucides, moins inhibés, étaient déjà partis de France, comme de toute l’Europe, fuyant les pogroms, les persécutions en tous genres. Ils furent relativement peu, en fait, quand on sait l’ampleur des déportations et des massacres.

Tant et tant sont restés, qui se sont crus protégés par ce brave et bon vieux Maréchal…Ils ne savaient pas, ils ne pouvaient pas savoir.
Maintenant on sait :

Tout un projet de « Statut des Juifs », était en gestation chez nous, un statut de précarité, sur le modèle des comportements nazis.
Il y avait préméditation. Cela a été élaboré, discuté collectivement dans les premiers mois de l’État français, et sans aucun doute cela mûrissait dans bien des têtes. Cela a été mis en écrit, dactylographié.
Peu importent les dates précises : sans aucun doute, beaucoup savaient ce qui se passait en Allemagne et qui avait germé dans le cerveau malade du futur fuhrer.
Le bon Maréchal n’a pas trouvé ce statut des Juifs de France suffisamment bon pour la France, pour sa santé morale et sa pureté.
En « suffisamment bon » [grand]-père de famille, en bon régisseur soucieux du détail, il a soigneusement relu et annoté de sa main, ce déjà sinistre projet. Sinistre, car il portait en filigrane toutes les persécutions, déportations.
C’était un projet d’anéantissement progressif, pour qu’ils ne prennent pas trop peur, qu’ils ne fuient pas trop, pour qu’on ait le temps de bien les recenser afin de ne pas se tromper, d’en oublier le moins possible.
Rappelez-vous, le processus, la progression des discriminations, des spoliations, des persécutions avait été de même partout où Hitler était influent : au début les repérages, les fameuses identités, pour aboutir aux destructions, pogroms, mises à mort, dans ce plan absolu de « solution finale ».
Ces gens-là estimaient avoir un problème et  une poignée de déments ont su trouver une solution totale, définitive, finale : plus un seul malade mental, plus un seul impur ethnique, plus d’impuretés politiques (fini les marxistes!), plus d’impuretés mentales (à mort les fous!), plus de libidos égarées et improductives…

De son projet français de statut des Juifs français, Pétain a voulu faire, il a réussi à faire quelque chose de sérieux, qui allait être bigrement efficace efficace.
Il s’agissait bien, en pensée, d’un tri, d’une sélection, de futures éliminations.

Longtemps, le Maréchal a entretenu le doute sur son implication. Ce n’était pas lui, c’était des membres de son cabinet, ce méchant Laval en tête. Lui, avait tant de préoccupations, malgré son grand âge, il se faisait tant de souci pour la France et les Français. Au pire, on pensait qu’il était sans doute un peu dépassé par l’ampleur des responsabilités tombées soudain sur ses vielles épaules.

Le bon Maréchal détestait beaucoup de catégories sociales : les Juifs, mais aussi les francs-maçons, les enseignants, tous ceux que l’on pouvait soupçonner, en raison de leur liberté intellectuelle, de moindre docilité
Cette perte des neurones, que l’on constate – pas toujours heureusement! – chez certains militaires vieillissants, serait peut-être un effet d’une compression excessive par képis racornis et casques à boulons…
Le bon Maréchal, lui, avait dû être bien « serré ».
Mais en réalité, il savait bien ce qu’il pensait, et ce qu’allait donner son « projet de statut des Juifs », remanié de sa main vigilante : C’était si énorme, si convergent, que ça ne pouvait pas être une erreur. Ce n’était pas un lapsus d’écriture (je vous épargne le latin), c’était un collapsus moral.

Vous allez pouvoir, devoir vous livrer à une lugubre étude de textes.
Car il est bon de savoir qui sont les bons, les justes, ceux qui se prétendent bons et généreux et ne sont que calcul et hypocrisie.
Non pas pour faire une sorte de discrimination au second degré.
Mais seulement
, à la lumière de l’Histoire, apprendre à se défier des jugements hâtifs, des a-priori faciles : ‘ »le Juif est laid… Le Juif est sale… le Juif est cupide… Il est si différent des bons vrais Français qu’il ne peut être qu’un ennemi ». Apprendre à se défier plus encore de la sagesse, de la générosité et de l’infaillibilité des autorités.
Apprendre aussi à se défier de la toute-puissance de l’informatique capable de toutes les sélections : Il faut savoir que ce sont les trieuses de fiches perforées, propriété alors du futur IBM, qui par leur prodigieuse rapidité, ont si bien aidé sans état d’âme aucun la bureaucratie hitlérienne à bien repérer, bien discriminer, bien séparer dans leurs listes les purs des impurs jusqu’à la 8ème génération!.
Et pour les malheureux descendants culpabilisés de ces fonctionnaires impassibles, il faut savoir que la couverture hiérarchique est un parapluie efficace contre les sanctions, contre le sentiment de responsabilité, contre le risque de compassion : La certitude de l’impunité quand on se sait dans le camp des forts peut faire du meilleur d’entre nous un être immonde. Relisez à ce sujet cet article du blog (« le jeu de la mort« ) et suivez ses liens

C’est cette liberté-là, ce libre arbitre de l’intelligence, cet état permanent de contestation potentielle, cette vigilance de la raison, que détestaient tant les Hitler, les Mussolini, les Laval… et même Pétain, on en a maintenant la preuve écrite, et de sa main.
Une main moins tremblotante que sa voix, si on en juge par les annotations au crayon de papier. Une main qui ne tremblait pas, même si la tête chenue qui la dirigeait savait fort bien, par les négociations avec l’occupant et les comportements déjà en cours dans d’autres pays, tout ce que ce projet de « statut » allait engendrer.

Quelques documents à consulter:

Dans le blog :
« La rafle »
Là encore, bien des liens édifiants, hélas…

Les annotations de Pétain :
Article du Point
Article de Libé
Article du parisien.fr
Info France 2.fr puis ces documents photo

Dans Wikipedia et Wikisources :
Le texte intégral de la loi du 3 octobre 1940: http://fr.wikisource.org/wiki/Loi_du_3_octobre_1940_portant_statut_des_Juifs

Le statut des Juifs (loi de juin 41)
Le statut des Juifs (loi de juin 42)

Mots solidaires

Cimetière des mots solitaires : la liste alphabétique, sans titre ni commentaires, sans mise en relation aucune des éléments de la liste, sinon leur seule juxtaposition, leur rangement conventionnel par ordre [de mérite] alphabétique.
Cité des mots solidaires : le dictionnaire analogique,
qui tisse un réseau dense de liens de sens entre les mots qu’il contient.

Les mots ne sont jamais seuls. Seuls, ils meurent.

La solitude du mot, c’est la liste sèche, sans le moindre commentaire, le dictionnaire pauvre qui ne donne pour un mot que son équivalent dans une autre langue. Remarquons toutefois que les hiéroglyphes de Champollion, isolés, n’ont pratiquement aucun sens. Le dictionnaire qui les traduit leur donne sens et vie, dans notre langue. (C’est une merveille, que l’on doit au site lexilogos.com : le 2ème onglet à gauche affiche la table des matières – tous les thèmes y figurent, c’est dire la richesse de ce langage, de cette culture égyptienne) La vraie vie leur vient de la clé, du code caché que recélaient ces idéogrammes. Régalez-vous, dessinez, faites dessiner vos enfants… Voyez ici aussi et ici encore, toujours via Gallica et Lexilogos.

Un mot isolé recherche désespérément des liens qui vont lui donner vie et sens, comme autant de mains tendues.
Ainsi quand un tout petit prononce mal un mot (ou une suite de mots) et qu’on ne le comprend pas, il est dans cette attente, parfois anxieuse, d’un signe de notre compréhension
.
Il nous faut alors avoir la générosité de lui tendre des perches, de lui suggérer des hypothèses de sens, de le questionner (simplement en commentant positivement) :
« Ah oui, c’est très intéressant, mais tu vois maman ne comprend pas bien, aide-moi, dis-le encore», pour qu’il précise par des gestes, d’autres mots ce qu’il a voulu exprimer.
Seul intérêt d’une liste, son intitulé. S’il n’y a pas d’intitulé, de titre à une liste, le rechercher peut être un jeu, un exercice passionnant et très formateur.
Car il s’agit de structurer, d’ordonner le réel.
Le titre d’une liste c’est un des dénominateurs communs à chacun des mots qui la constituent : alors surgit un sens nouveau qui englobe tous les mots contenus, un sens nouveau, tout un éclairage qui enrichit considérablement les sens particuliers des. Le titre, l’intitulé d’une classe est un conteneur, une simple boîte, mais riche d’une signification qui éloigne des détails foisonnants qui accaparent et dispersent toujours trop l’attention et l’intelligence qui structure et unifie des éléments apparemment disparates.
La liste n’a en fait d’intérêt que comme aide-mémoire ou si elle est insérée dans une classification logique.
Bientôt nous ferons des jeux de listes, concrètes, vécues, et nous nous essaierons à des jeux, des débuts de classifications

Trois mouvements possibles au sein d’une classification :

Vers le haut, vers un titre englobant, vers un conteneur, vers un dénominateur commun.
Remarquez que dans dénominateur, il y a dénommer, donner un nom.
On peut monter de titre en titre
.
À chaque ascension, on s’éloigne des détails qui permettent de différencier chaque constituant d’une liste, on accède à un mot-conteneur suffisamment général, abstrait, qui convient alors à chacun des éléments de la liste.
On fait abstraction de détails superflus pour découvrir par cet emboîtement une ou plusieurs propriétés communes qui suffisent à ce qu’on ne les confonde pas avec d’autres éléments de ce niveau déjà supérieur.

Vers le bas, vers une série de classes aux contenus plus précis, plus analytiques

Latéralement, vers des classes dont les éléments sont à des niveaux équivalents d’abstraction (si on pense aux propriétés générales), d’analyse (si on pense aux détails spécifiques)

Il est plus facile de descendre vers plus de détails par une analyse plus fouillée, plus méticuleuse, à la limite maniaque, que de s’élever vers des concepts de plus en plus abstraits, synthétiques, – et néanmoins fidèles à leurs constituants.

Une classification c’est un empilement de conteneurs, un emboîtement de classes, de catégories. C’est enfermer un réel complexe et extrêmement divers dans un réseau aux mailles plus ou moins serrées, selon que l’on s’intéresse plutôt aux détails qui font les différences ou plutôt aux propriétés générales qui caractérisent à grands traits.

Une classe c’est donc un ensemble d’éléments qui ont des qualités, des propriétés, des caractéristiques communes. Savoir les percevoir, les repérer au milieu des détails foisonnants est une preuve d’intelligence, d’aptitude à l’abstraction.

Les mots sont comme les cellules d’organismes complexes, mais vivants.
Avec des mots isolés, on ne peut procéder qu’à des greffes, des ajouts, des affinements ou des substitutions, sur un « corps », un « organe », un « tissu » déjà constitué
Les mots-cellules eux-mêmes ont des constituants internes (des sous-ensembles de lettres et signes abstraits), comme un génome qui est un peu leur potentiel de créativité dans le domaine de la pensée.
Les mots ont un lointain passé, une histoire qui remonte aux origines de leur création, de leur invention, et qui témoigne des besoins d’expression d’alors
Cette sorte de traçabilité génétique des mots, les linguistes la traquent et la trouvent dans ce qu’ils appellent la racine, le radical : ces termes disent bien qu’un mot, c’est quelque chose qui a une vie, qui peut croître, se développer, et, comme une plante saine et vivace, avoir des pousses, (des suffixes, des préfixes, des dérivés…, des descendants donc), pour peu que le terrain culturel et relationnel soit favorable.

Montrez à vos enfants, à vos tout petits même, cette vie relationnelle des mots que génèrent nos pensées. Qu’ils sentent bien qu’un mot isolé, privé de contexte partagé, vécu en commun, n’est rien, mais qu’un mot est une source infinie de joies, le point de départ d’une foule de voyages, d’explorations et de découvertes, de véritables aventures affectives et intellectuelles.
Très bientôt, nous allons, ensemble et avec eux, jouer avec les mots et leurs multiples échos.