Ce texte vient en complément de celui-ci
Les monstres existent-ils? Hélas oui, dans nos sociétés, dans nos mythes, dans nos phantasmes.
Le fantasme est une sorte de rêve éveillé angoissant mais parfois voulu et maîtrisé.
Le phantasme s’impose à la conscience, à la manière d’une résurgence non voulue, depuis l’inconscient, malgré la mobilisation des défenses du moi et une grande dépense inutile d’énergie bloquée, mobilisée dans une « drôle de guerre », sans pouvoir combattre .
Il peut y avoir une complaisance, du plaisir à jouer de ses fantasmes. Les phantasmes – malgré soi – sont autrement anxiogènes et déstabilisants.
Le névrosé peut prendre plaisir à ses fantasmes, le psychotique subit ses phantasmes et en souffre.
Qu’est-ce qu’un monstre?
Naguère, le monstre était monstrueux presque toujours et surtout par son physique.
Les bizarreries de pensées, de propos et de comportements, étaient senties moins directement menaçantes. Il fallait quelques années pour qu’elles se révèlent
Le monstre, excentricité de la nature, interpellait, frappait directement les sens, y compris chez les enfants qui ont pour cela un flair animal et repèrent comme d’instinct ces incongruités dans le troupeau.
À la naissance d’un bébé, la peur d’une malfaçon, d’une difformité, immédiatement visible – ou presque – était grande, et interprétée comme une sanction.
Et ce témoignage, cette preuve d’un passé fautif, condamnait pratiquement le malheureux défavorisé. Il fallait la force animale et l’intelligence instinctive d’un Quasimodo pour alors survivre.
Ce monstre physique, cette horreur, on trouvait moyen d’en tirer profit, bien qu’il ne soit bon qu’à pas grand chose, tout difforme et débile – faible physiquement – qu’il était. Alors on le montrait aux foules dans les foires, on le « monstrait » (comme on « monstre » à la Mostra de Venise) . Le voir était édifiant, sans discours nécessaire – comme une évidence sensorielle, comme un ressenti – c’était la démonstration de ce que Dieu ou le destin mauvais pouvaient vous infliger pour l’expiation de très probables fautes.
Je disais dans un article récent :
« La nature n’a ni tort ni raison. Il ne faut pas en vouloir à la nature, ni la vénérer de son apparente froide neutralité, de même qu’elle ne se venge pas des désordres que lui inflige l’industrie de l’homme ».
Non, il ne faut pas lui tenir rigueur d’engendrer des êtres d’exception qui effraient, dérangent et culpabilisent :
« La Nature s’amuse : le monstre ne constitue pas, à priori, une négation, ou une mise en question de l’ordre qu’elle a instauré, mais la preuve de sa puissance. (Claude Kappler, Monstres démons et merveilles à la fin du Moyen-Age, Paris, Payot, 1980, p. 21) ».
Le monstre devient une exception à la norme sociale.
D’abord excentricité physique, il est peu à peu et surtout devenu une exception dans l’ordre social, moral.
Par son comportement, par ses déviances, par la peur qu’il suscite et qu’on peut et sait exploiter s’il s’avère pouvoir être dangereux – ou s’il est décrété dangereux pour les individus qui se disent « normaux » et par leur majorité définissent la « norme ». Cette « norme », seuil, frontière de la normalité, d’où les écarts excessifs deviennent des fautes plus que des malheurs.
Le monstre jugé, déclaré dangereux pour l’ordre public, parfois avant tout procès, devient un prétexte commode à légiférer.
Tris et repérages : On protège ainsi bien sûr le bon citoyen, et dans ce but, on repère, on sélectionne.
On – le pouvoir, les décideurs, les puissants – voudrait bien éliminer, repérer le plus tôt possible, avant même que la monstruosité soit flagrante, dès l’enfance, dès avant la naissance, souhaitent certains. Fouiller dans les ADN, séparer, enfermer… Tout un navrant travail de répression et de ségrégation. On n’est pas loin de la tentation de l’eugénisme, de l’amélioration des races animales (voyez-en le vocabulaire), des sinistres purifications ethniques.
Revoyons ce « C dans l’air »du 3 février 2011, qui, justement, aborde ce thème angoissant où les pouvoirs politique et judiciaire se confrontent et se défient : « Les « monstres » existent-ils ? ». L’émission n’est plus disponible gratuitement, mais le forum de ce « C dans l’air » sur les criminels monstrueux est très intéressant par la diversité des avis exprimés.
Revoir en une vidéo de 13 mn un résumé de l’émission, ici sur le site-même de « C dans l »air ». Vous trouvez y aussi les tags, les invités, leurs bios, une documentation…
Quelques mots tout de même sur ce C dans l’air en partie confisqué – on devient exigeant tant sont grands les pouvoirs de la télévision :
Les « tags » en sont significatifs et soulignent les enjeux: « justice – récidive – sécurité » Les invités sont des experts particulièrement compétents dans ces domaines :
Deux psychiatres on ne peut plus experts en criminologie, dont :
Roland Coutanceau « Psychiatre des hôpitaux criminologue et et expert près la cour d’appel de Versailles, agréé par la Cour de cassation. Voyez, juste en dessous de sa biographie complète, les émissions auxquelles il a déjà participé – et que vous pouvez revoir, tout au moins en partie. Les titres sont à faire peur, mais assurément, si on supporte, on est informé…
Daniel Zagury, expert psychiatre, qui affirme (saisi « au vol » dans ce C dans l’air) :
« N’importe qui ne peut pas devenir du jour au lendemain un monstre. J’ai expertisé dans ma vie un certain nombre de criminels qui avaient découpé des cadavres. Eh bien, dans le grande majrité, ils n’étaient pas des malades mentaux ». « Monstre » est employé quand on ne trouve pas chez l’autre un reste d’humanité. Certains violent, d’autres violent et tuent, d’autres encore violent, tuent et découpent. Après, « que faire du corps? Ils n’avaient pas prévu. La plupart cachent le corps mais ne découpent pas. »
« Mais il y a quelque chose ici que je ne devrais pas dire: pour des sujets un peu froids (non émotifs) : »si je découpe, on ne retrouvera pas ».
Mais pour la plupart des criminels, le respect du corps humain demeure et interdit le découpage.
Dans la genèse d’un crime monstrueux, Daniel Zagury repère quatre séquences :
Une tentative de séduction qui échoue. Le séducteur éconduit, refusé, rejeté, repoussé…, est profondément humilié et son immaturité affective le pousse à deux transgressions de l’ordre social, deux passages à l’acte :
Viol et assassinat, souvent combinés.
Le découpage de la victime n’est osé que par ces êtres froids et organisés dont parle Daniel Zagury, dans le but froidement calculé de déjouer les recherches de la police en dispersant les restes.
Deux journalistes : Pierre Rancé, chroniqueur judiciaire et Isabelle Horlans, journaliste et écrivain. Leurs bios complètes sont aussi accessible sur le site de C dans l’air.
Comment la société pourrait-elle éviter de générer de tels « monstres » ?
L’immaturité affective de ces adultes si abominablement criminels est me semble-t-il en toile de fond de leurs comportements monstrueux.
Ces hommes (ces femmes aussi…) immatures affectivement ont toujours et très tôt été gravement frustrés, carencés en plaisirs relationnels : depuis leur toute petite enfance, ils sont comme en état de manque affectif. Ils deviennent peu à peu des infirmes relationnels qui ne savent pas « lire » les codes comportementaux et tout particulièrement dans les relations amoureuses, dans la phase de leur ébauche, au moment délicat des tentatives de séduction. Il faut alors avoir appris et savoir respecter une progression, des étapes dans les comportements, dans les gestes et les contacts. Il faut savoir lire les acceptations, les encouragements silencieux. Et surtout il faut savoir renoncer, accepter le refus, si grande soit la tentation, si grand soit le désir. Cela veut dire bien sûr que pour savoir respecter un refus, pour l’accepter, il faut avoir eu déjà un certain nombre d’acceptations, de victoires dans ses conquêtes passées.
À cet apprentissage d’une « lecture » correcte des messages comportementaux d’un (d’une) partenaire convoité sexuellement, il faut aussi ajouter un savoir faire, une « écriture » gestuelle acceptable, qui ne brusque pas les étapes, les préliminaires, la progression dans les gestes qui rapprochent, qui peu à peu permettent un contact physique de plus en plus intime (la main, le bras, l’épaule, le cou…), qui n’effraie pas, qui ne bloque pas, ce qui entraînerait les possibles humiliations excessives d’un éventuel immature, pour qui un rien, un simple refus – qui n’est peut-être que provisoire -, devient overdose de frustration et déclencheur de cette fatale réaction en chaîne de pulsions destructrices.
Le passage à l’acte, heureusement ne va pas toujours si loin : ce sont des exceptions monstrueuses. On en reste souvent – et bien trop souvent – à des insultes, des menaces, des coups…, ce qui est loin de la maturité affective socialisée.
Mais le processus est le même avec en toile de fond cette immaturité affective qui vient de très loin, cette allergie à la frustration, qui, comme toutes les allergies, est imprévisible, souvent excessive et disproportionnée et peut alors être très dangereuse.
Et avec nos tout petits, alors, quelle éducation, quelle prévention pour éviter les tentations de repérages et de sélections, de tris précoces ?
À propos de ces efforts désolants d’étiquetages prématurés, lisez quelques réactions, lisez aussi le rapport Bokel dans son intégralité, vous serez effrayés par tout ce que cela sous entend de suspicion et de mépris dans le regard que nos dirigeants portent de plus en plus sur des enfants tout jeunes et sur leurs parents.
Voyez aussi ces « silences du rapport Bokell » (comme « les silences du Colonel Bramble » – humour en moins, car on ne rigole pas avec l’adjudant Bokel…). Tenez, lisez cet « acte d’accusation » indigné de l’article de Libé :
« Le rapport Bockel sur la prévention de la délinquance juvénile est complètement hors-sol. Pas une ligne sur la dimension sociale : précarité, chômage, mal logement, ghettoïsation. Il faut attendre la page 41 pour que soit évoquée la prévention spécialisée. L’Education nationale est au centre de cette mission rédemptrice, mais pas un mot sur la suppression de milliers de postes – profs, psychologues, emplois de vie scolaire… – ni sur la mise au rebut de la carte scolaire. Les responsables sont tout désignés : les enfants d’immigrés et leurs parents, qu’il faut sanctionner. »
« Ce n’est ni aux maires et encore moins à des coordinations bidons de se substituer à la justice, à la prévention spécialisée, à l’Education nationale. Ce sont les moyens de la justice des mineurs et de la prévention spécialisée qu’il faut renforcer. C’est l’Education nationale qu’il faut arrêter de démanteler. Le suivi des jeunes (et de leur famille) ayant commis un délit existe déjà, mais sans les moyens suffisants. Pour lutter contre la délinquance juvénile et le décrochage scolaire, il faut commencer par rétablir la justice sociale et l’égalité des droits. »
Le désir, dès la naissance est le moteur de la vie, de tous les progrès, de toutes les motivations.
Nos tout petits sont déjà de grand amoureux. Des passionnés même. De maman, d’abord, bien sûr… Puis leurs investissements, leurs désirs, leurs attachements se diversifient dans le cercle de famille élargi, puis très vite chez les amis, les relations…
Et surtout à la crèche, à la maternelle. Il y a là, alors, des coups de foudre, des amitiés, de vraies amours, mais aussi de grands chagrins, de profondes douleurs qu’il faut savoir comprendre et respecter – surtout ne pas en rire – pour apaiser, compenser; des souffrances réelles dont il faut parler avec lui, car ce sont là choses sérieuses, essentielles qui ensoleillent ou au contraire obscurcissent la vie de nos petits bouts. Oui, de grandes joies, de grands chagrins d’amour, d’amitié, leur adviennent, tout comme à nous, avec sans doute autant d’intensité.
Tenez, un lundi matin, j’étais dans la salle d’attente de mon médecin. Deux bébés, en face de moi, enfin deux tout petits, un an guère plus, une petite fille et sa maman, puis un petit gars et son papa. D’abord une maman et sa petite fille toute brune, visiblement fatiguée, comme éteinte, le regard morne. Le petit gars, tout blond est entré dans les bras de son papa qui s’est assis à côté de la maman de la petite fille qui semblait indifférente à tout (moi compris). Souriant (à son papa) et décidé, le petit blondinet a tout de suite repéré la petite brunette et a usé de tous ses savoir-faire : doigt pointé souligné de quelques « là! » et regards vers son papa pris à témoin, qui en disaient long sur son vif intérêt pour cette petite inconnue. Laquelle, miracle d’une toute jeune belle au bois dormant, s’est littéralement éveillée, tournée vers ce prétendant à des jeux peut-être, a souri, est devenue expressive. La maman était comme amusée de ce soudain éveil de sa fillette. Les deux parents n’ont pas échangé un mot, quelques regards à peine, mais ces deux tout petits auraient (auront) sans doute grand plaisir à se retrouver. En tout cas, il n’y a pas eu la moindre gêne chez les parents, aucune « répression » de ces comportements déjà si éloquents. Heureusement, car c’est dans ces occasions, dans de semblables circonstances que se construisent peu à peu les sécurités affectives relationnelles, que se préparent les écoliers et les citoyens pondérés de plus tard.
Une éducation essentielle : L’apprentissage, l’entraînement à résister aux frustrations aux déceptions, aux blessures affectives si vite intolérables quand elles se multiplient.
L’essentiel, pour un enfant, pour un adolescent, c’est d’avoir la certitude d’être aimé… et d’être aimable, d’avoir déjà vécu maintes et maintes preuves de sa valeur, de ses compétences, d’avoir une image de soi qui ne se flétrisse pas à la moindre contrariété. Il faut que l’entourage puisse évoquer ces réussites, ces victoires passées sur toutes sortes de difficultés pour le conforter dans son épreuve présente. Il faut même susciter, organiser pour ainsi dire, ces réussites, les souligner, les applaudir, ce qui demande des adultes de l’entourage générosité. C’est la famille, ce sont les amis qui constituent cette école de résistance aux frustrations.
Il faut être toujours très respectueux des états d’âme des tout petits. Leurs chagrins, leurs douleurs sont immenses, de vrais désespoirs. Les réussites sont les baumes qui cicatrisent ces plaies-là. L’adulte doit les fêter comme des triomphes personnels. Il n’y a pas de petite réussite, si modeste soit-elle, les enseignants le savent bien, eux qui recommencent tous les ans les mêmes leçons, qui savent organiser encore et encore, leurs carrière durant, les mêmes épreuves à la portée de leurs nouveaux apprenants de l’année. Eux qui savent, comme des enfants participer aux joies intenses des petites découvertes qu’ils ont provoquées. En famille non plus il ne faut pas être avare de ses compliments, car ils sont toujours mérités. Le pédagogue comme les parents doivent être des acteurs sincères. Ils jouent l’admiration, mais avec sincérité, car ainsi, ils préparent les bonnes raisons d’une admiration totalement justifiée quand ils pourront constater de jour en jour la plus grande solidité affective de leurs tout petits devenus grands et confrontés alors aux choix amicaux et amoureux.
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