Un « C dans l’air » angoissant: »les monstres existent-ils? »-2

Ce texte vient en complément de celui-ci

Les monstres existent-ils? Hélas oui, dans nos sociétés, dans nos mythes, dans nos phantasmes.
Le fantasme est une sorte de rêve éveillé angoissant mais parfois voulu et maîtrisé.
Le phantasme s’impose à la conscience, à la manière d’une résurgence n
on voulue, depuis l’inconscient, malgré la mobilisation des défenses du moi et une grande dépense inutile d’énergie bloquée, mobilisée dans une « drôle de guerre », sans pouvoir combattre .
Il peut y avoir une complaisance, du plaisir à jouer de ses fantasmes. Les phantasmesmalgré soi – sont autrement anxiogènes et déstabilisants.
Le névrosé peut prendre plaisir à ses fantasmes, le psychotique subit ses phantasmes et en souffre.

Qu’est-ce qu’un monstre?
Naguère, le monstre était  monstrueux presque toujours et surtout par son physique.
Les bizarreries de pensées, de propos et de comportements, étaient senties moins directement menaçantes.
Il fallait quelques années pour qu’elles se révèlent
Le monstre, excentricité de la nature, interpellait, frappait directement les sens, y compris chez les enfants qui ont pour cela un flair
animal et repèrent comme d’instinct ces incongruités dans le troupeau.
À la naissance d’un bébé, la peur d’une malfaçon, d’une difformité, immédiatement visible – ou presque –  était grande, et interprétée comme une sanction.
Et ce témoignage, cette preuve d’un passé fautif, condamnait pratiquement le malheureux défavorisé. Il fallait la force animale et l’intelligence instinctive d’un Quasimodo pour alors survivre.
Ce monstre physique, cette horreur, on trouvait moyen d’en tirer profit, bien qu’il ne soit bon qu’à pas grand chose, tout difforme et débile – faible physiquement – qu’il était. Alors on le montrait aux foules dans les foires, on le « monstrait » (comme on « monstre » à la Mostra de Venise) . Le voir était édifiant, sans discours nécessaire – comme une évidence sensorielle, comme un ressenti – c’était la démonstration de ce que Dieu ou le destin mauvais pouvaient vous infliger pour l’expiation de très probables fautes.
Je disais dans un article récent :

« La nature n’a ni tort ni raison. Il ne faut pas en vouloir à la nature, ni la vénérer de son apparente froide neutralité, de même qu’elle ne se venge pas des désordres que lui inflige l’industrie de l’homme ».

Non, il ne faut pas lui tenir rigueur d’engendrer des êtres d’exception qui effraient, dérangent et culpabilisent :

« La Nature s’amuse : le monstre ne constitue pas, à priori, une négation, ou une mise en question de l’ordre qu’elle a instauré, mais la preuve de sa puissance. (Claude Kappler, Monstres démons et merveilles à la fin du Moyen-Age, Paris, Payot, 1980, p. 21) ».

Le monstre devient une exception à la norme sociale.
D’abord excentricité physique, il est peu à peu et surtout devenu une exception dans l’ordre social, moral.
Par son comportement, par ses déviances, par la peur qu’il suscite et qu’on peut et sait exploiter s’il s’avère pouvoir être dangereux – ou s’il est décrété dangereux pour les individus qui se disent « normaux » et par leur majorité définissent la « norme ». Cette « norme », seuil, frontière de la normalité, d’où les écarts excessifs deviennent des fautes plus que des malheurs.
Le monstre jugé, déclaré dangereux pour l’ordre public, parfois avant tout procès, devient un prétexte commode à légiférer.

Tris et repérages : On protège ainsi bien sûr le bon citoyen, et dans ce but, on repère, on sélectionne.
On – le pouvoir, les décideurs, les puissants – voudrait bien éliminer, repérer le plus tôt possible, avant même que la monstruosité soit flagrante, dès l’enfance, dès avant la naissance, souhaitent certains. Fouiller dans les ADN, séparer, enfermer… Tout un navrant travail de répression et de ségrégation. On n’est pas loin de la tentation de l’eugénisme, de l’amélioration des races animales (voyez-en le vocabulaire), des sinistres purifications ethniques.

Revoyons ce « C dans l’air »du 3 février 2011, qui, justement, aborde ce thème angoissant où les pouvoirs politique et judiciaire se confrontent et se défient : « Les « monstres » existent-ils ? ». L’émission n’est plus disponible gratuitement, mais le forum de ce « C dans l’air » sur les criminels monstrueux est très intéressant par la diversité des avis exprimés.

Revoir en une vidéo de 13 mn un résumé de l’émission, ici sur le site-même de « C dans l »air ». Vous trouvez y aussi les tags, les invités, leurs bios, une documentation…

Quelques mots tout de même sur ce C dans l’air en partie confisqué – on devient exigeant tant sont grands les pouvoirs de la télévision :
Les « tags » en sont significatifs et soulignent les enjeux: « justice – récidive – sécurité » Les invités sont des experts particulièrement compétents dans ces domaines :

Deux  psychiatres on ne peut plus experts en criminologie, dont :

Roland Coutanceau « Psychiatre des hôpitaux criminologue et et expert près la cour d’appel de Versailles, agréé par la Cour de cassation. Voyez, juste en dessous de sa biographie complète, les émissions auxquelles il a déjà participé – et que vous pouvez revoir, tout au moins en partie. Les titres sont à faire peur, mais assurément, si on supporte, on est informé…
Daniel Zagury, expert psychiatre, qui affirme (saisi « au vol » dans ce C dans l’air) :

« N’importe qui ne peut pas devenir du jour au lendemain un monstre. J’ai expertisé dans ma vie un certain nombre de criminels qui avaient découpé des cadavres. Eh bien, dans le grande majrité, ils n’étaient pas des malades mentaux ». « Monstre » est employé quand on ne trouve pas chez l’autre un reste d’humanité. Certains violent, d’autres violent et tuent, d’autres encore violent, tuent et découpent. Après, « que faire du corps? Ils n’avaient pas prévu. La plupart cachent le corps mais ne découpent pas. »
« Mais il y a quelque chose ici que je ne devrais pas dire: pour des sujets un peu froids (non émotifs) : »si je découpe, on ne retrouvera pas ».
Mais pour la plupart des criminels, le respect du corps humain demeure et interdit le découpage.

Dans la genèse d’un crime monstrueux, Daniel Zagury repère quatre séquences :

Une tentative de séduction qui échoue. Le séducteur éconduit, refusé, rejeté, repoussé…, est profondément humilié et son immaturité affective le pousse à deux transgressions de l’ordre social, deux passages à l’acte :
Viol et assassinat, souvent combinés.

Le découpage de la victime n’est osé que par ces êtres froids et organisés dont parle Daniel Zagury, dans le but froidement calculé de déjouer les recherches de la police en dispersant les restes.

Deux journalistes : Pierre Rancé, chroniqueur judiciaire et Isabelle Horlans, journaliste et écrivain. Leurs bios complètes sont aussi accessible sur le site de C dans l’air.

Comment la société pourrait-elle éviter de générer de tels « monstres » ?
L’immaturité affective de ces adultes si abominablement criminels est me semble-t-il en toile de fond de leurs comportements monstrueux
.
Ces hommes (ces femmes aussi…) immatures affectivement ont toujours et très tôt été gravement frustrés, carencés en plaisirs relationnels : depuis leur toute petite enfance, ils sont comme en état de manque affectif. Ils deviennent peu à peu des infirmes relationnels qui ne savent pas « lire » les codes comportementaux et tout particulièrement dans les relations amoureuses, dans la phase de leur ébauche, au moment délicat des tentatives de séduction. Il faut alors avoir appris et savoir respecter une progression, des étapes dans les comportements, dans les gestes et les contacts. Il faut savoir lire les acceptations, les encouragements silencieux. Et surtout il faut savoir renoncer, accepter le refus, si grande soit la tentation, si grand soit le désir. Cela veut dire bien sûr que pour savoir respecter un refus, pour l’accepter, il faut avoir eu déjà un certain nombre d’acceptations, de victoires dans ses conquêtes passées.
À cet apprentissage d’une « lecture » correcte des messages comportementaux d’un (d’une) partenaire convoité sexuellement, il faut aussi ajouter un savoir faire, une « écriture » gestuelle acceptable, qui ne brusque pas les étapes, les préliminaires, la progression dans les gestes qui rapprochent, qui peu à peu permettent un contact physique de plus en plus intime (la main, le bras, l’épaule, le cou…), qui n’effraie pas, qui ne bloque pas, ce qui entraînerait les possibles  humiliations excessives d’un éventuel immature, pour qui un rien, un simple refus – qui n’est peut-être que provisoire -, devient overdose de frustration et déclencheur de cette fatale réaction en chaîne de pulsions destructrices.
Le passage à l’acte, heureusement ne va pas toujours si loin : ce sont des exceptions monstrueuses. On en reste souvent – et bien trop souvent – à des insultes, des menaces, des coups…, ce qui est loin de la maturité affective socialisée.
Mais le processus est le même avec en toile de fond cette immaturité affective qui vient de très loin, cette allergie à la frustration, qui, comme toutes les allergies, est imprévisible, souvent excessive et disproportionnée et peut alors être très dangereuse.

Et avec nos tout petits, alors, quelle éducation, quelle prévention pour éviter les tentations de repérages et de sélections, de tris précoces ?
À propos de ces efforts désolants d’étiquetages prématurés, lisez quelques réactions, lisez aussi le rapport Bokel dans son intégralité, vous serez effrayés par tout ce que cela sous entend de suspicion et de mépris dans le regard que nos dirigeants portent de plus en plus sur des enfants tout jeunes et sur leurs parents.
Voyez aussi ces « silences du rapport Bokell » (comme « les silences du Colonel Bramble » – humour en moins, car on ne rigole pas avec l’adjudant Bokel…). Tenez, lisez cet « acte d’accusation » indigné de l’article de Libé :

« Le rapport Bockel sur la prévention de la délinquance juvénile est complètement hors-sol. Pas une ligne sur la dimension sociale : précarité, chômage, mal logement, ghettoïsation. Il faut attendre la page 41 pour que soit évoquée la prévention spécialisée. L’Education nationale est au centre de cette mission rédemptrice, mais pas un mot sur la suppression de milliers de postes – profs, psychologues, emplois de vie scolaire… – ni sur la mise au rebut de la carte scolaire. Les responsables sont tout désignés : les enfants d’immigrés et leurs parents, qu’il faut sanctionner. »

« Ce n’est ni aux maires et encore moins à des coordinations bidons de se substituer à la justice, à la prévention spécialisée, à l’Education nationale. Ce sont les moyens de la justice des mineurs et de la prévention spécialisée qu’il faut renforcer. C’est l’Education nationale qu’il faut arrêter de démanteler. Le suivi des jeunes (et de leur famille) ayant commis un délit existe déjà, mais sans les moyens suffisants. Pour lutter contre la délinquance juvénile et le décrochage scolaire, il faut commencer par rétablir la justice sociale et l’égalité des droits. »

Le désir, dès la naissance est le moteur de la vie, de tous les progrès, de toutes les motivations.
Nos tout petits sont déjà de grand amoureux. Des passionnés même. De maman, d’abord, bien sûr… Puis leurs investissements, leurs désirs, leurs attachements se diversifient dans le cercle de famille élargi, puis très vite chez les amis, les relations…
Et surtout à la crèche, à la maternelle.
Il y a là, alors, des coups de foudre, des amitiés, de vraies amours, mais aussi de grands chagrins, de profondes douleurs qu’il faut savoir comprendre et respecter – surtout ne pas en rire – pour apaiser, compenser; des souffrances réelles dont il faut parler avec lui, car ce sont là choses sérieuses, essentielles qui ensoleillent ou au contraire obscurcissent la vie de nos petits bouts. Oui, de grandes joies, de grands chagrins d’amour, d’amitié, leur adviennent, tout comme à nous, avec sans doute autant d’intensité.
Tenez, un lundi matin, j’étais dans la salle d’attente de mon médecin. Deux bébés, en face de moi, enfin deux tout petits, un an guère plus,  une petite fille et sa maman, puis un petit gars et son papa. D’abord une maman et sa petite fille toute brune, visiblement fatiguée, comme éteinte, le regard morne. Le petit gars, tout blond est entré dans les bras de son papa qui s’est assis à côté de la maman de la petite fille qui semblait indifférente à tout (moi compris). Souriant (à son papa) et décidé, le petit blondinet a tout de suite repéré la petite brunette et a usé de tous ses savoir-faire : doigt pointé souligné de quelques « là! » et regards vers son papa pris à témoin, qui en disaient long sur son vif intérêt pour cette petite inconnue. Laquelle, miracle d’une toute jeune belle au bois dormant, s’est littéralement éveillée, tournée vers ce prétendant à des jeux peut-être, a souri, est devenue expressive. La maman était comme amusée de ce soudain éveil de sa fillette. Les deux parents n’ont pas échangé un mot, quelques regards à peine, mais ces deux tout petits auraient (auront) sans doute grand plaisir à se retrouver. En tout cas, il n’y a pas eu la moindre gêne chez les parents, aucune « répression » de ces comportements déjà si éloquents. Heureusement, car c’est dans ces occasions, dans de semblables circonstances que se construisent peu à peu les sécurités affectives relationnelles, que se préparent les écoliers et les citoyens pondérés de plus tard.

Une éducation essentielle : L’apprentissage, l’entraînement à résister aux frustrations aux déceptions, aux blessures affectives si vite intolérables quand elles se multiplient.
L’essentiel, pour un enfant, pour un adolescent, c’est d’avoir la certitude d’être aimé… et d’être aimable, d’avoir déjà vécu maintes et maintes preuves de sa valeur, de ses compétences, d’avoir une image de soi qui ne se flétrisse pas à la moindre contrariété. Il faut que l’entourage puisse évoquer ces réussites, ces victoires passées sur toutes sortes de difficultés pour le conforter dans son épreuve présente. Il faut même susciter, organiser pour ainsi dire, ces réussites, les souligner, les applaudir, ce qui demande des adultes de l’entourage générosité. C’est la famille, ce sont les amis qui constituent cette école de résistance aux frustrations.
Il faut être toujours très respectueux des états d’âme des tout petits. Leurs chagrins, leurs douleurs sont immenses, de vrais désespoirs. Les réussites sont les baumes qui cicatrisent ces plaies-là. L’adulte doit les fêter comme des triomphes personnels. Il n’y a pas de petite réussite, si modeste soit-elle, les enseignants le savent bien, eux qui recommencent tous les ans les mêmes leçons, qui savent organiser encore et encore, leurs carrière durant, les mêmes épreuves à la portée de leurs nouveaux apprenants de l’année. Eux qui savent, comme des enfants participer aux joies intenses des petites découvertes qu’ils ont provoquées. En famille non plus il ne faut pas être avare de ses compliments, car ils sont toujours mérités. Le pédagogue comme les parents doivent être des acteurs sincères. Ils jouent l’admiration, mais avec sincérité, car ainsi, ils préparent les bonnes raisons d’une admiration totalement justifiée quand ils pourront constater de jour en jour la plus grande solidité affective de leurs tout petits devenus grands et confrontés alors aux choix amicaux et amoureux.

Délitements et résiliences

Des processus évolutifs qui débutent dès la toute petite enfance.

La résilience  est devenue célèbre et elle est souvent vue à son terme, par son côté spectaculaire : quelqu’un que l’on croyait anéanti, perdu, sort de sa régression, revit. C’est ce côté miraculeux, improbable, qui frappe et qu’on retient.

Mais ce miracle, cette soudaine puissance sont l’aboutissement d’une longue épargne.
Dès l’enfance, sou à sou, nous thésaurisons les pièces jaunes de notre éventuelle résilience. Et cette résilience, cette énergie s’accumule discrètement. On n’a jamais une soudaine et importante dotation de résilience . On ne peut pas faire d’emprunt urgent dans ce domaine.

La résilience est un capital inestimable. c’est en quelque sorte une énergie, une réserve de forces psychiques et qui, pense-t-on, « ne s’use que si l’on s’en sert ».

Pourtant, cette résilience capitalisée un certain temps peut se déliter sous la pression des temps mauvais de la vie. Pas forcément une catastrophe, une « Xynthia » affective, psycho-sociale, financière,  mais une accumulation de petites intempéries.
« La désilience » : Comme la résilience qui se construit par petites touches, se maille peu à peu, la « désilience » (j’invente ce concept comme l’inverse du processus de construction des forces résilientes) procède de façon insidieuse, et elle aussi dès la petite enfance.

Ainsi on peut gagner en résilience le temps de vacances heureuses chez un oncle, une tante et des cousins structurants et gratifiants. Mais aussi, on peut perdre en résilience à certaines périodes de la vie familiale, de la vie scolaire, de la vie amoureuse, de la vie sociale. La société actuelle inflige souvent de rudes coups de boutoir à notre capital de  résilience potentielle, qui se gaspille fâcheusement.
La crise n’est pas que financière, elle est morale, psychique, et ruine bien des résistances, anéantit des trésors de résiliences lentement constituées au long des périodes de vie « normales ». Et dans le contexte actuel de tensions, d’agressivité exacerbée, le harcèlement au travail est tel, la perte de sens en est si flagrante, qu’il conduit à des suicides navrants d’adultes sains qu’on savait pourtant solides jusqu’à il y a quelques années. Et ceux qui encaissent, ceux qui tiennent le coup, sont tout de même bien fragilisés.

La résilience ne peut s’apprécier qu’à l’aune des difficultés, voire du malheur.
On ne peut jamais faire le bilan exact de son « compte en résilience ». On peut tout de même s’en faire une idée : en imaginant comment on se comporterait en cas de grosse difficulté, de grand malheur soudain.

Ainsi quelle sera mon attitude face aux inévitables épreuves physique de la vie.
Face à la maladie ?  À la déchéance physique consécutive à un accident ? Comment vais-je assumer le vieillissement ? La mort inéluctable ? La mort promise, bien plus tôt qu’il n’est raisonnable, par un cancer ? Serai-je tenté d’en finir au plus vite quand je penserai que tout est joué ?

La vie quand même, la vie diminuée, la vie étiolée, la vie sous le signe de l’échec et de la frustration a-t-elle encore un sens ?
Ces questions de la poursuite de la lutte pour la vie, la survie,  ou du renoncement, sont les mêmes qui se posent lors de chaque difficulté qui se présente, encore plus s’il y a échec : dois-je persévérer ? Continuer? Recommencer?
« Il n’est pas besoin d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer », dit-on.
Encore faut-il que la persévérance ait été encouragée, que des réussites dosées, calculées généreusement aient été ménagées aux temps des jeux, de l’école, des apprentissages…
Chaque difficulté, chaque échec est une épreuve infligée à la solidité de notre personnalité, de notre moi.
À chaque coup dur (réel, ou simplement d’amour propre) on peut avoir des raisons de douter de soi, on peut sentir se flétrir l’image qu’on s’était patiemment faite de soi.

La capitalisation résiliente est faite d’une multitude de petites victoires qui s’enchaînent, qui se sédimentent et qui cimentent l’estime de soi.
Je suis content simplement, parfois je suis vraiment fier de moi, de ma vie. Alors, si cette vie est soudain menacée, tous ces témoins d’une qualité, d’une excellence parfois, vont accourir et prouver qu’une telle vie vaut la peine d’être poursuivie, que l’effort repris ne sera pas vain.
Il y a peu à peu une habitude à la réussite et aux satisfactions d’estime qu’elle génère, et donc une habitude à la persévérance dans l’effort pour la réussite.

Cette mise en place et cet entretien, cette surveillance de la qualité du filet des futures résilience, commence dès la naissance.
Ce tout petit qui ne parle pas encore, vous voyez bien, vous sentez bien qu’il réagit à la souffrance comme au plaisir, à ses petites et grandes réussites comme à ses petits et grands échecs.

Ainsi la première grande victoire, toute inconsciente, est de réussir à ramper sur le ventre de maman et à se tourner comme il faut pour saisir à pleine bouche et à tâtons un téton si tentant…
Le bonheur sensoriel du tout petit au temps des premiers attachements, le plaisir des désirs possibles, parce que permis et assouvis, plus tard la satisfaction plus consciente d’une vraie réussite personnelle qui vaut la peine de persévérer dans un effort qui tient ses promesses, voilà quelques-uns des matériaux qui font les personnalités solides, donc les éventuels recours aux réserves d’énergie résiliente qui étonnent toujours quand elles se manifestent.
Cette résilience va de pair avec une bonne santé psychique, elle témoigne toujours d’un vécu heureux et suffisamment permissif dans la petite enfance, mais juste suffisamment répressif.

Je suis persuadé que la résilience possible fonctionne à la manière d’un vaccin : elle rend immuno-résistant aux coups durs de la vie.
Ainsi, on sait bien qu’un un tout petit s’immunise et renforce ses immunités en n’étant pas toujours maintenu dans un milieu aseptisé, dépoussiéré, comme dans une bulle. Les petits enfants qui ont vécu au contact d’animaux familiers sont moins allergiques aux poils des bêtes. Les menues frustrations de la vie quotidienne d’un tout petit, les délais, les absences, les bobos du corps et de l’âme, toutes ces petites douleurs inévitables, si elles ne sont pas trop intenses, ni trop fréquentes, ni surtout préméditées, renforcent l’aptitude à éventuellement mieux résister à des épreuves plus sévères.

Peu à peu, il va vous falloir apprendre au tout petit la frustration souvent impossible à éviter, lui apprendre à différer une satisfaction.
Et d’abord la séparation, les coupures dans la fusion : maman ne peut pas être toujours là. Mais maman va revenir, et effectivement, elle revient : c’est déjà une mini résilience, la restauration d’un état de quiétude antérieur. Ce n’est pas une catastrophe, c’est un tout au plus un petit drame, un gros chagrin. Et quand cela se renouvellera, peu à peu va s’installer l’habitude d’une alternance mémorisée dans le vécu. Après la pluie le beau temps, après les larmes la sécurité retrouvée. Ainsi une petite douleur, un petit échec sont des promesses de plaisir, de réussite à venir. Si la douleur, l’échec, ne sont pas trop traumatisants, la persévérance prendra le pas sur l’éventuel désespérance, sur la tendance au renoncement, pire, au masochisme.

Ainsi une petite enfance heureuse, respectée, objet d’une attention généreuse, prépare à une enfance et à une scolarité réussies.
La socialisation diversifiée et consolidée par la famille élargie, par l’école, par l’intégration professionnelle, par l’amitié et l’amour, apporte un étayage renforcé à cette première construction résiliente commencée dès la naissance et sans doute déjà dans le désir qu’ont eu les parents de cet enfant, de son bonheur et de ses réussites à venir.

On le voit bien, cette élaboration d’une résilience qui puisse se révéler performante, est tout de même affaire de chance. Comme l’intelligence, elle n’est pas donnée d’emblée.
Ces graines-là ont besoin d’un terreau relationnel fertile, d’un climat serein. Les mamans dans la relation fusionnelle des tout premiers mois font très exactement ce qu’il faut en se retirant un peu du monde, juste ce qu’il faut pour assurer à leur tout petit la quasi exclusivité de leur amour, de leur vigilance. Comme dit Winnicott, elles savent être « suffisamment bonnes » pour lui… et rester suffisamment disponibles pour les autres et pour la vie autour.
Encore faut-il que la société leur laisse cette liberté.
Il est désolant de voir à quel point on néglige ces évidences.


Une image de soi « suffisamment bonne »

Une image de soi « suffisamment bonne », mais pas trop. Comme « la mère suffisamment bonne » selon Winnicott, c’est-à-dire bonne sans excès et même frustrante juste ce qu’il faut pour que l’enfant, puis l’adolescent soit tenté par l’autonomie, l’émancipation du futur adulte accompli. Je me permets de citer cet extrait de Wikipedia : « celle qui sait donner des réponses équilibrées aux besoins du nourrisson, ni trop ni trop peu. On l’oppose à une mère qui ne serait pas assez bonne. C’est-à-dire qui laisserait l’enfant en souffrance et dans l’angoisse néantisante. On l’oppose aussi à une mère qui serait trop bonne. C’est-à-dire qu’elle répondrait trop aux besoins de l’enfant, et ne le laisse pas assez ressentir le manque qui est également essentiel à sa constitution, plus précisément à l’identification du moi comme différencié de la mère. Lisez au moins la remarquable introduction de Gisèle Harrus-Révidi à l’ouvrage de Winnicott (PBP 595, p 7 à 30).

Une image de soi que l’on juge soi-même perfectible afin qu’elle reste un stimulant – sans excès – vers le mieux, une image de soi que l’on se forge et qui tende peu à peu vers l’image d’un moi idéal.

L’ «image de soi », une image bien trompeuse, comme toutes les images, qu’elle soit réelle, physique ou morale, psychique…

J’ai donc, selon les circonstances, et selon les regards, bien des images de moi :

  • Celle que je saisis dans les miroirs, infiniment variable, selon les jours, la forme, la santé, les tenues vestimentaires et les états d’âme…
  • Celle que je crois lire dans le regard de l’Autre, des Autres :
  • Celle de mon regard intérieur, introspectif, qui évalue les qualités et imperfections de cette image que l’on voit de moi, de son moi, cet idéal vers lequel je tends, mais avec des critères d’évaluation souvent faussés.
  • Celle du regard que je prête aux autres : comment me voit-on, physiquement ? moralement ? Suis-je quelqu’un de beau, de physiquement attirant, séduisant ? Suis-je quelqu’un de bien, suis-je apprécié, estimé, aimé pour plus que des attraits.
  • Celle du regard collectif, de la vox populi qui fait et défait les réputations.
  • Celle des portraits, ces instantanés si souvent décevants et qui révèlent si bien les dommages du temps passé.
  • Celle des appréciations écrites des écoliers, des étudiants, des fonctionnaires, des militaires…

En fait, notre image est toujours en élaboration, toujours remise en question, niée, refusée, contestée, souvent truquée, parfois pleine de mauvaise foi narcissique ou d’erreurs de discernement.

L’image de soi, par soi : rien de plus subjectif.
Aucune objectivité à attendre du surmoi
presque toujours trop sévère, trop exigeant, toujours à comparer le moi réel et le moi idéal, cette vision utopiste irréaliste et irréalisable.

Il est bon d’être aiguillonné par une ambition tendue vers le bien et même le mieux, mais comme le dit la sagesse des dictons, ce mieux est souvent l’ennemi trop exigeant du bien plus raisonnable.

Un surmoi féroce : Nous avons déjà vu Petit-Bout piégé entre ses pulsions, ses désirs, ses erreurs et ses fautes et les reproches excessifs d’un surmoi parfois féroce, et le secours que lui apporte M. Maître, par son empathie et son expérience, qui le rendent compréhensif et indulgent.

L’image de soi, par l’Autre : un tableau individuel et collectif, sans cesse remanié, où chacun, soi compris, se permet d’ajouter sa touche de vérité ou de mensonge, ses taches d’erreurs.
On ne voit d’ailleurs jamais la totalité de cette œuvre. En fait on ne fait que feuilleter un immense album aux pages évolutives, certaines que l’on saute en fermant les yeux avec horreur, ou sur lesquelles au contraire on s’attarde avec nostalgie et complaisance.

« Comme je me regrette ! » a écrit joliment – comme toujours – Colette vieillie en contemplant les images et les souvenirs de la belle enfant, de la jeune femme qu’elle avait été.

Une image de soi acceptée et acceptable, c’est sans doute un des meilleurs critères d’une vie réussie (voyez ici et là surtout).
Cette conscience d’être, l’un dans l’autre, quelqu’un de bien

est faite des mille petites fiertés, satisfactions d’amour-propre qui au jour le jour compensent les mille erreurs, fautes, défaillances qu’immanquablement on a vécu ou qu’on va vivre. C’est la résultante de mille petites et parfois grandes victoires qui aboutissent à cette conviction intime d’une vie relativement réussie, pas tout à fait nulle.
Ayons, nous adultes, aînés, de la famille ou non, la générosité de fournir à nos tout petits des opportunités de réussites, de victoires, si menues, si dérisoires soient-elles. Il n’y a jamais de réussite absolue, de victoire sans remise en question un jour ou l’autre ; il y a toujours un sentiment exaltant de puissance, de savoir-faire et il reste toujours un peu de cette exaltation, de cette euphorie, de cette ivresse qui vous fait sauter, crier votre joie: c’est cette force qui porte, qui pousse à oser, à entreprendre, à [se] risquer à nouveau. Quand ce flux est amorcé, rien ne l’arrête, pas même les faiblesses, les infirmités, toutes les menues trahisons du corps qui n’est plus si jeune.

Aidons nos tout petits, nos petits et nos plus grands, nos proches, conjoint, parents, amis dans ce travail de Sisyphe, dans cette œuvre sans cesse à reprendre et à fignoler, lécher…, qu’est l’image qu’ils ont d’eux-mêmes ou qu’ils pensent qu’on a d’eux.
Cette image à laquelle vous allez contribuer positivement sera celle de leur vie, sera celle qu’ils tenteront de restaurer dans les moments toujours possibles de grand doute. Cette image-là, ces images furtives, fugaces mais chaleureuses seront alors parmi les éléments essentiels d’une résilience réussie.

« L’œuvre », d’Émile Zola : Un des romans qui m’ont le plus impressionné. On y assiste à l’élaboration de plus en plus douloureuse d’un tableau par un artiste peintre maladivement perfectionniste, toujours insatisfait de sa réalisation au point de sombrer dans une folie destructrice qui lui fait lacérer son tableau… et sa vie.

Apprenons à être suffisamment satisfait d’une existence suffisamment bonne.
Ne portons pas toujours nos lunettes d’exigence, ayons des verres correcteurs qui atténuent l’objectivité trop réaliste, chaussons nos besicles d’indulgence, pour les autres comme pour nous-mêmes.
Montrons à nos enfants que le vrai, le bien, le juste s’apprécient mieux en variant les angles de vue.
Une image s’améliore souvent en trempant nos pinceaux dans les bonnes « couleurs » – nous avons tous de « bonnes couleurs », il suffit d’apprendre à les voir et à les apprécier, d’apprendre à s’en contenter, même si elles sont quelque peu frustrantes, un peu ternes
Il y a là toute une éducation du regard de l’esprit et du cœur.
Apprenons-à nos petits la souplesse, apprenons-leur la « lecture » et la tolérance des images que les Autres, que les évènements, que la vie, ces mille miroirs leur renvoient. Des miroirs parfois déformants, comme d’un « palais des glaces », cette attraction foraine qui fait tant rire – d’angoisse bien sûr.

PER (Programme pour l’Épanouissement et la Réussite)

Le PER, un PEi dédié à la Petite Enfance, au Tout Petit.
Revoyez d’abord le précédent billet : Je recopie ici les deux lignes des sources de mes déjà (bien trop) longues réflexions :

Cela fait déjà bien longtemps que je tourne autour de cette idée venue du PEI du génial Feuërstein.

Le PEi a un i ambigu à l’ambiguïté savamment entretenue.
Le « E » et le « i » du Programme qu’est le PEi de Feuërstein, signifient « Enrichissement instrumental ».Ils vont bien sûr, au bout du compte, dans le sens d’un accroissement de l’intelligence, de l’efficience, du rendement, mais indirectement, grâce aux outils, aux « instruments » dont il enrichit ceux qui en bénéficient. Et c’est à cet enrichissement instrumental que visait d’abord Feuërstein : Sa vocation a toujours été le dévouement à la cause de cas souvent désespérés – un peu à la manière de Bettelheim qui ne recevait dans son École Orthogénique de Chicago le plus souvent que des « cas » refusés, rejetés de partout ailleurs.
Mais on comprend que cet aspect utilitaire, cet aspect efficience, efficacité, rendement intellectuel ait pu en tenter beaucoup, et qu’on se soit ingénié à en faire un outil quelque peu élitiste, pour tout dire souvent très loin d’être gratuit, et d’empêcher de bien mettre en œuvre sa vocation essentiellement préventive.

J’ai toujours cru en la prévention, en une possible générosité préventive qui ne permet pas que surviennent des aggravations, des détériorations difficilement réversibles. Mais quand il est déjà un peu trop tard on appelle au secours des urgences curatives et on est prêt à bien des sacrifices.

Il faut bien se pénétrer de cet esprit de prévention : là se trouve la vraie générosité, là se rencontre la pédagogie authentique des passeurs de savoir faire et de mieux être.
L’argent compromet, pervertit tout dès qu’il perd sa vraie vocation d’investissement.
Françoise Dolto a toujours été une extraordinaire pédagogue, d’une générosité sans égale : ses petits analysés la « payaient » d’un menu objet, un marron par exemple, un ticket de métro périmé, peu importait, seul comptait le geste. Ce geste était symbolique et signifiait un accord, un engagement de l’enfant, un vrai investissement, bien qu’en fait gratuit : « J’accepte ton aide, j’en ai besoin, je la veux… et ce petit rien que je n’ai pas oublié d’apporter pour toi seule, il est un peu comme un objet transitionnel qui signifie que j’entre dans ton monde, dans notre monde d’échanges symbolique, car je sens bien qu’en retour je recevrai de toi infiniment plus que je ne peux te donner, sécurité relationnelle et confiance retrouvée dans l’autre. »
Et sa longue série d’émissions sur France Inter, par la suite éditée, (papier, CD, DVD), que de fureurs n’a-t-elle pas provoquées chez nombre de ses chers confères en psychanalyse ! Je crois bien que tout simplement on lui reprochait de donner des solutions, des trucs, des recettes, pas seulement pour guérir dans l’urgence l’enfant (et les parents) du cas évoqué, mais aussi pour prévenir chez bien d’autres la survenue de perturbations dans la relation, dans l’efficience, dans les attitudes. Car il y avait toute une foule de parents auditeurs qui l’écoutaient avec vénération leur dire, leur expliquer, leur démontrer, ce qui malheureusement peut arriver, et comment, souvent tout simplement, par l’écoute et la parole aimantes on peut faire que ça n’aille pas plus mal, que ça aille mieux, et même, surtout, que ça n’advienne jamais, à nos petits à nous, toute cette souffrance dont cette grande dame parle avec le gentil Jacques Pradel.
Thierry Janssen, lui, a interrompu sa carrière de chirurgien urologue, pour mieux « se reprendre », se ressaisir, se ressourcer, lui aussi a toujours voulu expliquer, démystifier, mettre à portée de tous dans une langue limpide les concepts les plus ardus, au point qu’on l’appelait « Thierry J’enseigne ».
Repensez aussi à J.-D. Nasio, à la force de sa vocation, revoyez ses seuls titres : « Enseignement de 7 concepts cruciaux de la psychanalyse » / « Introduction aux œuvres de Freud, Ferenczi, Grodeck, Klein, Winnicott, Dolto, Lacan » / « Le plaisir de lire Freud », toujours ce désir, ce besoin de transmettre, de faire passer, de partager ses enthousiasmes, en expliquant par le menu, au besoin en créant de nouveaux concepts plus clairs.

P.E.R. : Programmé pour l’Épanouissement et la Réussite.
Aussi, je voudrais que vous repreniez la série déjà fournie des articles du blog qui approchent, tentent de cerner ces notions, ces principes de base, qui font que le petit d’homme, de tout temps et en tous lieux, de la préhistoire à nos jours et sous toutes les latitudes est sans aucun doute possible programmé pour s’épanouir et réussir.

Ainsi, avec en arrière-plan ces principes du PER, sur cette base d’une programmation génétique pour l’épanouissment et la réussite, nous allons désormais nous consacrer surtout aux MER, à la réalisation, à la mise en œuvre.