Petit Boris et les méchants

Rappel d’un exploit résilient :
Souvenez-vous de ce formidable petit Boris de six ans qui a su, en 1944, déjouer les pièges pervers d’une rafle d’enfants organisée en gare de Bordeaux par Maurice Papon et ses acolytes. Relisez ces deux articles du blog :

https://toutpetits.wordpress.com/2009/05/26/cyrulnik-%C2%AB-je-me-souviens%E2%80%A6-%C2%BB/
https://toutpetits.wordpress.com/2008/02/01/une-prison-de-fils-de-laine/

Conte, fable ou fiction? l’histoire revisitée:
Pour rire un peu, nous allons imaginer un cours différent de cette histoire du petit Boris Cyrulnik, et nous permettre d’en faire une fiction où le très méchant sera puni. Mais il vous faut avoir relu les deux récits cités plus haut – ou vous en souvenir…

C’est fait? Alors suivez-moi :

Attente et évasion sur le quai de la gare de Bordeaux:
Donc, ce petit Boris Cyrulnik de six ans, du plus profond d’un instinct de petit animal qui a déjà vu disparaître sans raison ses parents et nombre de ses proches, a flairé le non sens de ce parc à enfants qu’est la couverture de laine où la petite troupe d’enfants juifs raflés par les services si efficaces de Maurice Papon doit attendre son destin de gibier promis à la déportation.

Évasion dans les pissotières
Boris a su s’évader de la redoutable prison de fils de laine et il se glisse jusqu’au fond des « toilettes » de la gare qui ne sont alors que vulgaires et sommaires pissotières à la Clochemerle.
Mais on n’est jamais vraiment tranquille et à l’abri du destin mauvais : les Allemands, eux aussi, ont des besoins naturels. Si! si! Et en voilà un, justement, qui approche, tourmenté par sa vessie. Et Boris reconnaît bien l’imminence du danger au bruit si harmonieux des bottes germaniques. Comme un petit écureuil entendant le pas des chasseurs et qui se sentirait coincé au pied d’un bosquet, il grimpe entre les deux bat-flancs d’une « stalle » des pissotières, comme ferait un alpiniste dans une « cheminée » entre deux falaises.
Admirons sa maîtrise qui sait doser les efforts des cuisses, la pression des coudes et du dos. Tant de science et de sagesse de ce corps enfantin le hissent – ho! hisse! Boris! – jusqu’au plafond où il reste collé à l’abri des regards. Il faut dire qu’en de tels lieux, l’œil se porte spontanément vers le bas, préoccupé de la saleté qui y régnait alors si souvent, du crachotement ou non de quelques filets d’eau, plutôt que de se s’élever comme pour admirer, n’est-ce pas, les moulures du plafond d’un appartement qu’on envisagerait d’acquérir…

Arrêt sur image :
Boris est tout là-haut, immobile et tendu.
En bas, l’Allemand, habituel grand buveur de bière, ne parvient pas à se soulager :

Prosit! prostate!
Ma brosdate brodeste (10 vois bour bien ardiguler) :
Ma brosdate brodeste
Ma brosdate brodeste
……………

Rien n’y fait, il n’y voit goutte.

Mais soudain, il se remémore une bien bonne histoire qu’on se raconte un peu partout dans les deux camps :
Tentative d’invasion de l’Angleterre par assèchement de la Manche.

Hitler, son génial Führer, vient d’avoir une idée plus géniale encore : dans le plus grand secret, des troupes immenses des armées allemandes sont déplacées et rassemblées tout au long des côtes de la Manche et de la mer du Nord. Du haut de la plus haute dune Hitler ordonne par super hyper mégaphone à chacun de ses hommes placés côte à côte de s’agenouiller, de s’incliner au contact de l’eau. Et on entend alors un énorme

 Trinken!

Bien disciplinés, ils trinkent, trinkent, trinkent encore, jusqu’à plus soif – et ça vient vite, le plus soif,  vu la salinité un peu excessive tout de même des grises eaux de ch’Nord qui n’ont rien de grisant. Ils se relèvent alors, se retournent et recrachent vers l’arrière. Et bien vite ils se remettent en position et rythmés par les trinken! trinken! furieux du Führer, ils lapent, lapent, lapent encore.
Comme on sait, l’Allemand est naturellement consciencieux et persévérant, et plus encore en l’état de soldat où, il l’a maintes fois prouvé, il ferait n’importe quoi. Tant et si bien que peu à peu le niveau baisse et  que les riverains british finissent par s’en apercevoir.
Et Churchill qui sait résister ne tarde pas à réagir : les troupes britanniques sont alignées le long de la côte anglaise et il y a pour ainsi dire un Britannique face à chaque Allemand.
Soudain, on entend un hypermégaphone à l’accent british prononcé hurler :

Make pipi ! Make pipi !

À cette seule évocation du « make pipi ! » churchillien, L’Allemand des pissotières de Bordeaux éclate de rire, se détend. « Sa prostate, aussi » aurait pu chanter Fernandel. Et il se prend à pissoter par à-coups, secoué par le rire. Du coup, il s’incline un peu plus pour mieux surveiller son arrosage saccadé, afin de ne pas souiller ses super belles bottes.

Seulement voilà, un rire est un rire et se moque des barrières linguistiques et ce gros rire teuton sans accent, lui, déconcentre et détend le petit Boris qui d’un coup lâche prise et tombe comme une masse.

Arrêt sur image : Que s’est-il donc passé?
Une cheville retenait fermement, semble-t-il, le couperet Boris. Quelqu’un a dû tripoter la guillotine et tirer la chevillette. Ou bien le rire a secoué toute la mécanique. Toujours est-il qu’on aurait pu reprendre la comptine :

Tire, tire la chevillette
Et la bobinette cherra…
Tire, tire la chevillette
Et la couperette cherra…
Rire, rire la rigolette…
…Et le môme i net cherra.

Et de fait, le môme Boris i cheut – il tombe – comme on dit dans la Saintonge du bon docteur Guillotin, l’inventeur de la guillotine – et nous n’en sommes guère fiers : abandonné, livré aux forces puissantes de l’attraction terrestre, ce couperet de choix choit avec une énergie cinétique considérable, une vitesse sans cesse accrue et, dans quelques secondes à peine, écherra sur le cagouet teuton – la nuque – , avec l’inéluctabilité d’un trajet de planète ou de la pomme de Newton. Plus rien désormais ne peut le retenir. Et n’en doutons pas, quelques dizaines de kilos d’un enfant juif, même maigre – comme cela se faisait couramment en 44 -, qui vous échoient sur les cervicales, c’est à la fois une belle revanche pour les victimes des Nazis et autres Papon, et un rude coup d’arrêt du destin pour un Allemand triomphant : un petit crac! osseux et le crack germain ploie et s’affaisse le nez sur l’ardoise comme pour une ultime vérification de ses émissions. Petit Boris s’est mué en guillotine, ou plutôt en massue. Pas de sang, peu de bruit, et pourtant c’en est fait du méchant malchanceux. Déjà petit Boris, protégé par cette chute sur échine chleuh pliée en toboggan, cavale vers sa liberté et son destin exceptionnel.