Docteur Jardin

Ce brave Docteur Jardin, je ne le connaissais pas bien.
Il était pourtant là, tout près, derrière la maison, et souvent, nous courions bien loin, en voiture, au moindre bobo familial, à la première douleur, à la moindre inquiétude.
Habituellement, comme vous faites sans doute, nous allions consulter notre médecin attitré qui nous envoyait, s’il le jugeait nécessaire chez un confrère plus spécialisé, parfois, en cas de gros ennuis de santé, dans une clinique ou un hôpital.
Docteur Jardin n’est en rien un spécialiste. Pas le moindre diplôme. Il n’a que des savoir faire. Ou plutôt, que des savoir-être : il agit pour ainsi dire par sa seule présence, par les longs moments que vous passez ensemble, lui et vous. Et quand vous le quittez, après avoir fait ce que vous sentiez qui lui plairait, il élabore en votre absence, lentement, par une merveilleuse alchimie dont les secrets remontent à la nuit des temps, de merveilleuse molécules végétales qui sont autant d’alicaments.
Je vous entends dire: « Alors, c’est un guérisseur, une sorte de sorcier comme on en trouve souvent pas loin de chez soi !… »
Il y a un peu ce ça : en fait, Docteur Jardin est un spécialiste des médecines douces. Pas de remèdes, pas de molécules complexes issues de longues et coûteuses recherches en de mystérieux et lointains laboratoires pharmaceutiques.
Docteur Jardin ne dispense pas de faire appel à ses « confrères » reconnus par l’Ordre des Médecins. Le teint hâlé, le bon état général du patient, jardinier pour ses loisirs ou par souci d’énomies non négligeables, témoignent, d’une alimentation riche en fruits
et légumes, d’une vie saine  que le médecin reconnaît et salue au premier coup d’œil.

Docteur Jardin n’est pas exigeant pour son installation : il se contente d’un petit arpent de terre vivante – un ver de terre en est la preuve suffisante – et d’un peu de votre énergie, d’un minimum de votre foi, ou plutôt de votre confiance en ses modestes pouvoirs, en ses discrètes vertus.
Ce bout de terrain, il va falloir le retourner, le bêcher, encore et encore; piocher, sarcler, manier tout à tour dix outils différents : « Travaillez, prenez de la peine, / C’est le fonds qui manque le moins », comme dit le bon La Fontaine. C’est toujours ainsi qu’on découvre des trésors enfouis. Tout particulièrement les trésors de santé, les secrets du bien-être, de la vraie longévité, celle qui a su conserver la plénitude des plaisirs d’un corps libre.
Cette bonne terre vivante, c’est le laboratoire de Docteur Jardin, c’est à cette terre généreuse que vous allez confier de menues graines, de fragiles plants, de délicates boutures. Ce seront-là ses seuls émoluments. Et dans le secret souterrain de ses longues nuits de veille, puisant dans une science immémoriale, il va se livrer à une alchimie proprement magique et va vous rendre au centuple, « en nature », en quelques semaines, le peu que vous avez investi.
Ce que vous aurez investi surtout c’est beaucoup de confiance, d’admiration, de reconnaissance pour le plaisir attendu et déjà pour le plaisir reçu de cette attente confiante dans le miracle renouvelé de saison en saison.
Et à l’image de sa terre qui aime qu’on l’aime, Docteur Jardin déçoit rarement ces efforts attentionnés. Il faudrait une calamité climatique, une peste végétale, un assèchement saharien ou au contraire un déluge de fin de monde pour ruiner vos espérances et celle de la terre.
Soyez sûrs que Docteur Jardin se révèlera être un grand spécialiste de bien des médecines alternatives, de ces médecines douces et lentes qui vous apportent d’autant plus que vous leur apportez, paisiblement, à votre rythme. Ces médecines qui vous rendent heureux et fiers de les pratiquer.
Ainsi Docteur Jardin – le vôtre ou celui de votre voisin, de vos amis – adore les longues visites respectueuses, admiratives des qualités des jardiniers comme de la générosité des terres diverses. Et il n’entre jamais en concurrence avec d’autres médecines conventionnelles.
Le jardinage c’est en quelque sorte l’hébertisme des sportifs.

Cette quête de la santé naturelle, c’est aussi un peu comme la recherche du basilic que nous conte Zadig, le héros naïf deVoltaire.

« Seigneur, on ne mange point mon basilic, toute sa vertu doit entrer chez vous par les pores. Je l’ai mis dans une petite outre bien enflée et couverte d’une peau fine: il faut que vous poussiez cette outre de toute votre force, et que je vous la renvoie à plusieurs reprises; et en peu de jours de régime vous verrez ce que peut mon art. Ogul dès le premier jour fut tout essoufflé, et crut qu’il mourrait de fatigue. Le second il fut moins fatigué, et dormit mieux. En huit jours il recouvra toute la force, la santé, la légèreté, et la gaieté de ses plus brillantes années. Vous avez joué au ballon, et vous avez été sobre, lui dit Zadig: apprenez qu’il n’y a point de basilic dans la nature, qu’on se porte toujours bien avec de la sobriété et de l’exercice, et que l’art de faire subsister ensemble l’intempérance et la santé est un art aussi chimérique que la pierre philosophale, l’astrologie judiciaire, et la théologie des mages. » (Voltaire, via Wikisource et Wikipedia )

Rimaillade

Jolie Rama
Sur un gradin perchée
(Gradin d’assemblée…
Gradin de stade…)
Tenait en ses mains
Bien serrées
Son maroquin.
Un gredin de Renard,
Par ce corps beau
Alléché…
(Un corps beau
À croquer !)
Lui tint à peu près ce langage :
« Que vous êtes jolie !
Vue d’en m’bas,
Que vous me semblez m’Bo !
Descends donc !
Nous danserons
Le mam’bo.
Et ton maroquin,
Pas d’chagrin,
Tu l’gard’ras,
J’en f’rai  pas
Plein de rage
Un fromage… »

Puis ainsi
Le rossard causit :
« Sans ment’rie
Si votre ramaillade
Se rapporte à votre plumaillade
Vous êtes le phénix
De mes minix
Et des hôtes
De mes champs
(Élysées).»
À ces mots
Si bien dits
(À ses maux
Pressentis),
Rama ne ressent pas de joie,
En perd même la voix
Et ferme son joli bec,
Se retient,
N’en pense pas moins
« Rien de neuf ! »
Comm’ Titeuf :
«Même pô peur ! »
« Pas si ‘rô qu’ça ! ».

Et de ses menues mains
Elle tient bien
L’maroquin
Tant elle craint
Le coquin.
(«Grand pendard !
Dit Voltaire).
Et elle pense :
« Par prudence
Mieux vaut m’taire !»
À ses mots
Devinés
Il jura,
(Mais un peu tard),
« Nom d’un pétard ! »,
Qu’on ne l’y prendrait plus.

La petite Pléyade